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par les autres, leurs formes et leurs couleurs, et chacune, à son tour, lui a livré le secret de sa beauté. Ces nuances exquises, ces tissus fins et souples, ces attitudes charmantes, il les admire avec une simplicité d’enfant, il les reproduit avec toute l’habileté dont il est capable. Il connaît aussi la signification symbolique de ses modèles et il excelle à réunir, dans des guirlandes mystiques qui encadrent les fêtes de la Vierge, les fleurs qui lui sont consacrées. Frêles et bientôt flétries, elles n’ont duré qu’un instant ; mais, grâce à lui, elles traverseront les âges avec leur fraîcheur intacte, avec cette poésie qu’un œil d’artiste sait découvrir dans les plus petites choses de la création.

Un tel travail est attachant ; mais le miniaturiste ne se laisse pas absorber tout entier en ces détails. Des travaux plus intéressans et plus compliqués lui sont proposés. Ces études, qui le faisaient pénétrer dans l’intimité de la nature et qui lui révélaient ses harmonies les plus délicates, ont développé à la fois ses facultés d’observation et son talent. Quand, dans les calendriers qu’il est d’usage de placer en tête des bréviaires, il reprendra les données de ces scènes rustiques que la sculpture s’était autrefois essayée à reproduire aux portails de nos cathédrales, il sera désormais en mesure de leur donner tout l’intérêt qu’elles comportent. De feuillet en feuillet, la série des mois se déroule avec les occupations que, tour à tour, ils ramènent, car le travail ne chôme guère au pays du Nord, et, à chaque scène, le décor changeant de la nature permet de suivre les transformations incessantes qu’elle y subit. Dans l’espace restreint où il doit se renfermer, l’artiste choisit les traits les plus significatifs qui peuvent le mieux caractériser chacun des mois de l’année. Voici d’abord un voyageur parcourant la campagne ensevelie sous la neige, qui tombe à flocons. À côté, un paysan bêche la terre, encore nue et durcie par la gelée, tandis qu’à la page suivante, vous le voyez qui taille sa vigne ou les arbres du petit clos attenant à sa chaumière. Plus loin, avril a reverdi les prés, partout les bourgeons s’entr’ouvrent et des oisillons s’ébattent sur les buissons en fleurs. En mai, un citadin, heureux d’échapper aux longues réclusions de l’hiver, se promène seul à travers les champs, tenant en main quelque rameau vert ou fleuri qu’il remporte à sa demeure ; ou bien « sa dame » est à son bras, et dans ce renouveau de la nature, le couple amoureux trouve l’écho de cette éternelle chanson dont Goethe, au début de Faust devait avec tant de charme exprimer la poésie. Viennent ensuite la fenaison et la moisson, avec les travailleurs, jambes nues et chemises flottantes, parmi les herbes mûres ou les épis dorés. Puis c’est le raisin qu’on foule aux pieds dans le pressoir, la pomme qu’on cueille au verger, ou le grain qu’on bat en grange. Avec le retour de la froide saison, à l’orée d’un bois dont les feuilles jaunissent, le pâtre, protégé