Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 70.djvu/843

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’ils n’ont pas servi de modèles, ils n’en sont pas moins des exemplaires dans lesquels le modèle se vérifie et se multiplie. Enfin, ce qui n’est pas la moindre considération, c’est que l’étude des clefs est un voyage amusant à travers la société de ce temps, voyage où pour cicérone vous avez de temps en temps non-seulement La Bruyère, mais Saint-Simon, qui, pour lui, ne se fait pas faute de s’adresser aux personnes et les marque d’un trait brûlant à jamais ineffaçable. Au fond, c’est le spectacle de la vie que chacun peut prendre du côté gai ou du côté triste, selon son humeur, mais qui ne nous laisse jamais indifférens.

Voici maintenant l’histoire des clefs de La Bruyère, telle que nous la donne son savant et consciencieux éditeur, M. G. Servois, dans l’édition complète qui vient d’enrichir la collection des Grands Écrivains de la France. Nous avons souvent parlé ici de cette magnifique collection, dirigée par le regrettable Adolphe Régnier, récemment enlevé aux lettres, et qui avait voué à cette œuvre, avec un zèle infatigable, ses dernières années; et c’est pour nous toujours un plaisir que d’étudier nos grands auteurs dans ces éditions si riches, si curieuses, si exactes, si pleines de détails nouveaux et piquans. Sous ce rapport, la récente édition de La Bruyère ne le cède à aucune autre, et nous n’aurons guère qu’à reproduire, en le coordonnant, le travail de l’éditeur.

Les clefs ne furent d’abord que des notes marginales écrites par des lecteurs du temps sur leurs exemplaires; et il reste encore aujourd’hui un certain nombre d’exemplaires avec de telles notes qui, d’ailleurs, nous dit M. Servois, se reproduisent presque toujours les mêmes. Bientôt, aux notes marginales, succédèrent les listes écrites que l’on se passa de mains en mains et qui étaient transcrites sur le livre même. L’une des plus anciennes de ces listes porte en effet ce titre : Clef des Caractères de Théophraste, l’édition, Michallet, 1694. Il ne reste que deux de ces clefs manuscrites : celle que nous venons de citer et une autre formant un cahier relié de 61 feuilles in-4o, et ayant appartenu à la famille Cochin. Bientôt, ces clefs furent imprimées, et la première parut après la mort de La Bruyère, vers 1696 ou 1697. Depuis, toutes les grandes éditions de La Bruyère furent accompagnées de clefs. Dans la nouvelle édition que nous avons sous les yeux, les ciels sont accompagnées d’un commentaire suivi et approfondi où tous les documens contemporains, notamment les témoignages de Saint-Simon, sont rapprochés et critiqués.

Nous classerons les différens personnages dont il est question dans les clefs sous ces différens titres : les politiques, les courtisans, les financiers, le clergé et la magistrature, les écrivains