de la Roquette, évêque d’Autun, l’original bien connu de Tartufe. Voici le passage de La Bruyère : « Il n’y a point de palais où il ne s’insinue… Il entre dans le secret des familles ; il est quelque chose dans tout ce qui leur arrive… ce n’est pas assez pour remplir son ambition que le soin de dix mille âmes. Il y en a d’un plus haut rang… Il veille sur tout ce qui peut servir de pâture à son esprit d’intrigue, de médiation et de manège. » Ici Saint-Simon est encore le commentateur de La Bruyère : « Tout sucre et tout miel, lié aux femmes importantes de ce temps-là, et entrant dans toutes les intrigues ; — toutefois grand béat. C’est sur lui que Molière prit son Tartufe, et personne ne s’y méprit… Tout lui était bon à espérer, à se fourrer, à se tortiller. » Terminons enfin cette galerie de portraits ecclésiastiques par celui du moine à la mode, si connu de nos jours, mais qui n’était nullement ignoré au temps de La Bruyère : on y voit peinte au vif la lutte du moine et du prêtre, qui certainement existe encore aujourd’hui, mais souterraine et secrète, tant le moine a pris d’ascendant : « Dans ces jours que l’on appelle saints, dit La Bruyère, le moine confesse pendant que le curé tonne en chaire contre le moine et ses adhérens. N’y a-t-il point dans l’église une puissance à qui il appartient de faire taire les parties ou de suspendre pour un temps le pouvoir du barnabite ? » Il y a ici une allusion évidente. Pourquoi ce nom du barnabite, et pourquoi le souligner s’il ne s’agissait que du moine en général ? On paraît d’accord que le moine en question serait le père La Combe, le confesseur de Mme Guyon. Il était, en effet, barnabite et, pendant un temps, très à la mode. L’allusion est d’autant plus vraisemblable que La Bruyère, on le sait, s’était beaucoup occupé du quiétisme. Il y a, certes, lieu de s’en étonner. Comment et pourquoi cet humoriste, ce satirique mondain s’est-il pris d’un intérêt si vif pour la plus âpre des controverses théologiques, au point de lui consacrer neuf dialogues d’une longueur et d’une froideur insupportables[1]? On ne saurait répondre à cette question. La biographie de La Bruyère est trop mal connue, sa personne nous est trop obscure pour que nous puissions nous expliquer cette singulière passion de théologie. Quoi qu’il en soit, le fait suffit pour nous faire comprendre qu’il ait pu s’intéresser particulièrement au barnabite, et nous signaler la lutte des séculiers et des réguliers dans le gouvernement des consciences. Après tant d’amères censures, relevons enfin chez La Bruyère un hommage
- ↑ Dans ces longs et fastidieux Dialogues sur le quiétisme, je n’ai trouvé qu’un trait digne de La Bruyère ; mais il est bien piquant. Une pénitente se plaint à son directeur de son mari, qui n’est pas assez dévot, et elle en dit pis que pendre : « Ma fille, dit le directeur, il ne faut haïr personne, pas même son mari. — mon père ! répond-elle, je le hais en Jésus-Christ. » — (Dialogue III. p..584, t. Il des Œuvres.)