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lui-même, et bien qu’il y ait quelque chose d’analogue dans Montaigne, et ailleurs, nous voudrions Bavoir ce que Pascal, en le disant à son tour, y met de sa propre expérience.

Il nous semble du moins que l’on ne souffre pas comme Pascal a souffert sans qu’il en demeure quelque chose, ou qu’il s’en grave quelque trace dans l’esprit le plus fier, le plus ferme, le plus sûr de soi. Et, pour notre part, nous verrions volontiers dans la maladie de Pascal, quel que soit le nom dont on doive la nommer, une des sources amères du pessimisme des Pensées. Encore ici, nous voudrions donc qu’un médecin, ou quelque érudit versé dans la médecine, reprit et traitât le sujet. On en a tous les élémens sous la main, puisque la famille même et les amis de Pascal, Mme Périer, sa sœur ; Marguerite Périer, sa nièce ; les pieux rédacteurs du Recueil d’Utrecht, nous les ont fidèlement transmis. Nous avons même le procès-verbal de son autopsie, ou de son « ouverture, » comme on disait au XVIIe siècle, pièce curieuse autant que rare, et qui parait bien indiquer que l’étrangeté du mal avait étonné les amis et les médecins de Pascal. Si, d’ailleurs, on voulait un modèle de ce genre d’enquête à distance que nous demandons, Littré, jadis, l’a donné dans les pages qu’il a consacrées à cet autre problème historique : Madame est-elle morte empoisonnée ? A quelque conclusion que l’on dût aboutir, craindrait-on, par hasard, que Pascal en fût diminué ? Mais nous serions trop timides si nous avions peur de la vérité tout entière ; et nous serions bien grossiers, bien « enfoncés dans la matière, » si nous ne pouvions loger le génie que dans un corps d’athlète.

D’autres particularités de la vie de Pascal nous sont à peine mieux connues. Comme dans la biographie de Molière, il y a des lacunes dans celle de Pascal, et quelques-unes aux endroits mêmes que nous attacherions le plus de prix à bien connaître. On sait qu’après une première conversion, à Rouen, en 1647, Pascal, jeune encore, non-seulement revint aux sciences profanes, mais rentra même dans le monde, qu’il ne quitta définitivement qu’en 165iJ. De quelle manière y vécut-il ? On ne l’ignore pas précisément, mais on voudrait en savoir davantage. Mme Périer, dans sa Vie de Pascal, n’en a pas dit assez ; la sœur sainte Euphémie (Jacqueline Pascal), dans ses Lettres, par quelques expressions, en a trop fait entendre ; ni l’une ni l’autre en cela n’a bien servi la mémoire de son frère, et encore moins satisfait notre juste curiosité. Ainsi, de ce que Pascal, pendant des mois, fit difficulté de délivrer à sa sœur Jacqueline, la religieuse de Port-Royal, la part où elle avait droit dans l’héritage paternel, on en a conclu qu’il devait avoir eu de grands besoins d’argent, en ce temps de sa vie mondaine, si même il n’avait été, selon le mot de Sainte-Beuve, « un peu joueur. » Mais je crois que l’on n’a pas bien lu les interminables lettres où Jacqueline Pascal raconte cette affaire à la mère Agnès. Il y a là surtout