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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/400

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ce que M. Taine a fait dans sa Révolution, et c’est pourquoi, comme nous le verrons, il y manque tant d’autres choses. Son livre est de « bonne foi, » mais d’autant plus partial, qu’assuré de sa « bonne foi, » M. Taine est lui-même partial avec moins de scrupules ; et c’est surtout un livre incomplet.

Éclairés sur la méthode et sur les procédés de l’historien, nous pouvons maintenant essayer de mettre en lumière ce qu’il n’a pas laissé d’apporter de très neuf à l’histoire de la révolution. Quoi que nous ayons pu dire de sa partialité, de ses contradictions et de ses répétitions, c’est M. Taine qui parle, un des maîtres de la pensée contemporaine ; — et qui parle pour dire surtout ce que l’on n’avait pas dit avant lui. Tout de même, quoi que nous ayons dit de ses documens, de l’exclusif et abusif emploi qu’il en a fait, ce sont des documens ; — et que les historiens de la révolution française avaient assurément trop négligé de consulter. Les historiens de la révolution, à l’égard des documens dont se sert M. Taine, et dont ils ne pouvaient pas tout à fait ne pas soupçonner l’existence, en ont usé comme en use M. Taine à l’égard de leurs opinions, qu’il connaît, puisqu’il les combat, mais en affectant de ne les pas connaître. Nous nous préoccuperons surtout, en examinant ici les idées de M. Taine sur la révolution, de mesurer pour ainsi dire l’écart qui les sépare de l’opinion moyenne ; et, quand cet écart nous paraîtra très grand, avant de nous ranger à celle de M. Taine, nous discuterons les raisons de l’opinion moyenne, puisqu’il a cru, pour lui, pouvoir s’en dispenser.


II

Tout le monde sait que les historiens de la révolution française, d’une manière générale, en ont plutôt traité comme d’une révolution politique, au sens étroit du mot, que comme d’une révolution sociale. Si même l’on disait que la plupart d’entre eux semblent avoir eu pour objet principal d’établir non-seulement une distinction, mais une opposition formelle entre les principes de la révolution et les aspirations du socialisme démocratique, on exagérerait à peine, et, si l’on se trompait, ce ne serait après tout que pour avoir voulu trop abonder dans leur sens. C’est en effet là le secret de ce qu’ils ont tous ou presque tous tenté d’efforts pour rompre l’enchaînement logique et diviser la solidarité morale de l’histoire de la révolution. Jusqu’au triomphe donc du parti montagnard, selon les uns, jusqu’à l’avènement du régime de la terreur, selon les autres, et enfin, selon les plus avancés, jusqu’à la conspiration de Gracchus