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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/479

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au point de conduire deux nations au seuil de la guerre ? Évidemment l’objet primitif de la querelle ne valait pas tout le bruit qu’on a fait, moins encore les dangers qu’on a bravés. L’Allemagne, dans ses fantaisies de conquêtes coloniales, a cru pouvoir étendre la main sur quelques îles de l’archipel des Carolines sous prétexte de protéger le commerce allemand ; l’Espagne, de son côté, se croit depuis longtemps des droits sur ces îles, qu’elle n’a d’ailleurs songé à occuper réellement que depuis peu, lorsqu’elle les a vues menacées. La plus simple négociation pouvait ou devait suffire à dénouer ce conflit de droits et de prétentions. Ce qui a tout compliqué et tout gâté comme il arrive souvent, c’est le procédé, c’est un certain air de bravade et de brutalité sommaire dans la manière dont les Allemands ont paru d’abord vouloir trancher la question. À la première nouvelle des ordres donnés à la marine allemande, l’orgueil espagnol a éclaté ; les manifestations ont commencé à Madrid comme dans les provinces contre ce qu’on a appelé ni plus ni moins un acte de piraterie. Le mouvement s’est étendu, et le gouvernement lui-même n’a pu faire autrement que de s’associer jusqu’à un certain point à l’émotion publique par ses protestations. Qu’est-ce donc lorsqu’on a su ce qui venait de se passer dans l’archipel des Carolines ? Pendant qu’un débat diplomatique était engagé entre Madrid et Berlin, en effet, une scène assez singulière s’était accomplie dans ces mers lointaines. La canonnière allemande l’Iltis était arrivée le soir du 24 août devant la petite île de Yap, où elle avait rencontré deux bâtimens espagnols envoyés de Manille. Le commandant du navire allemand, sans plus d’hésitation, avait débarqué avec quelques forces, avait arboré le pavillon impérial et pris possession de l’île de Yap. Les bâtimens espagnols, gagnés de vitesse ou ne se croyant pas en force pour résister, étaient restés les témoins inactifs de l’acte hardi du capitaine allemand et s’étaient bornés à protester. Voilà ce qu’on apprenait tout à coup à Madrid il y a peu de jours.

Alors la colère espagnole n’a plus connu de bornes, les manifestations sont devenues une agitation tumultueuse et violente. La foule, parcourant les rues, s’est portée à la légation allemande qu’elle a menacée d’un assaut, et le drapeau impérial a été lacéré, offensé par la multitude. Les partis politiques se sont réunis, ont délibéré et ont publié les déclarations les plus belliqueuses. Le roi Alphonse, qui était à la Granja et qui s’est hâté de revenir à Madrid, a été reçu, à sa rentrée, avec des acclamations, mais aussi avec des cris de haine contre les envahisseurs d’une possession nationale. De toutes parts a éclaté la passion de la guerre, d’une guerre immédiate contre l’Allemagne. De Madrid le mouvement s’est étendu aux provinces, et on peut bien supposer que les partis hostiles au gouvernement se sont faits, jusqu’à un certain point, les complices d’une agitation dont ils espéraient pouvoir se servir ; de sorte qu’en quelques jours, en quelques heures, l’Es-