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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 71.djvu/561

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Sardaigne, d’autres diplomates qui, durant leur séjour en Russie, s’étaient signalés par leur hostilité au gouvernement français et leur zèle pour les Bourbons. On les expulsait comme on avait expulsé Caraman et, au mois d’avril précédent, l’ambassadeur anglais, en leur accordant quelques heures à peine pour quitter la capitale. Ces traits suffisaient pour éclairer du jour le plus inquiétant l’aventure encore obscure du représentant du roi de France. Ils étaient le prélude du malheur plus grand encore qui menaçait le roi lui-même.

Le 14 janvier 1801, le général de Fersen, commandant militaire de Mitau, ayant fait demander, dès le matin, une audience à Louis XVIII, lui présenta un ordre qu’il venait de recevoir du comte Pahlen. Cet ordre était ainsi conçu : « Vous notifierez à Louis XVIII que l’empereur lui conseille de rejoindre son épouse à Kiel le plus tôt possible et de s’y fixer auprès d’elle. » Le roi reçut cette nouvelle avec le calme et la dignité qui le mettaient au-dessus de ce qui pour tout autre que pour lui eût été une insulte. « L’empereur se trompe quand il me conseille d’aller rejoindre la reine à Kiel, dit-il au général de Fersen. Elle n’y est établie que momentanément, en attendant la saison des eaux de Pyrmont, où elle doit retourner, ce lieu étant inhabitable pendant l’hiver. La peine que j’éprouve n’est point l’effet de l’horreur de ma situation. Accoutumé à souffrir, j’ai le courage nécessaire pour supporter le malheur, et je n’attends que mes passeports. Mais ma nièce, où reposer sa tête? Il n’est pas un coin en Europe où nous puissions être reçus!.. » Et, après un silence, il ajouta : « Revenez dans deux heures chercher ma réponse. » Resté seul, il fit appeler le comte d’Avaray. De concert avec lui, il rédigea une Lettre pour le tsar[1], et quand revint le général de Fersen, il la lui remit. Il fut convenu que jusqu’à ce que l’empereur y eût répondu, la décision impériale serait tenue secrète. C’est en songeant à la duchesse d’Angoulême dont il voulait ménager la sensibilité, que le roi sollicita ce secret. Il s’inquiétait surtout d’elle ; pour elle plus encore que pour lui, il s’indignait de la dureté des ordres qui le contraignaient à quitter la Russie, à se mettre en route au cœur de l’hiver, à exposer la princesse aux rigueurs du froid et aux périls d’une route dépourvue de tout secours. Le lendemain, il crut pouvoir écrire à son frère pour lui annoncer son infortune. Mais ses angoisses n’eurent d’autres confidens que d’Avaray et Caraman. Elle s’aggravèrent bientôt d’un nouvel incident. La pension de janvier n’avait pas été payée à l’échéance accoutumée, malgré les promesses de Pahlen; le temps s’écoulait sans qu’elle arrivât. Il fallut envoyer une estafette à Riga, où, à ce que

  1. Nous n’avons pu retrouver l’original de cette lettre.