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imposer l’indulgence, qu’il l’avait été à l’origine pour recommander la sévérité, il est certainement éloquent quand il s’écrie : « O insulte à des frères trompés ! ô déception misérable à des malheureux désolés et égarés ! ô vaine et stérile application des règles de l’hérésie ! Exhorter les gens aux satisfactions de la pénitence et leur refuser le remède que la satisfaction porte avec elle ! Dire à nos frères : Mène le deuil, verse des larmes, passe les jours et les nuits à gémir pour effacer et expier ton péché ; va, multiplie tes œuvres ; mais, tout cela fait, c’est hors de l’église que tu mourras. Tout ce qui peut t’obtenir la paix, tu le feras ; mais cette paix, que tu demandes, ne viendra jamais ! » Sans doute nous avons quelque peine à nous échauffer aujourd’hui à ces discours, car nous sommes bien loin de tout cela. Il en est ainsi de la plupart des choses pour lesquelles les hommes s’agitent ; il est probable que moins d’un siècle après, quand l’église régnait à côté de l’empereur, on ne comprenait déjà plus les passions que cette question des Tombés avait soulevées. Mais lorsqu’elle était brûlante, on voit comment Cyprien faisait face à tous les adversaires, à toutes les difficultés et à tous les troubles, et quelle action un tel esprit pouvait exercer sur tous.

En combattant le schisme avec cette vigueur, Cyprien combattait pour lui-même. Cependant il n’y avait jusque-là dans Carthage que l’ébauche d’un schisme, puisque ceux qui s’étaient séparés de lui restaient à côté de l’église sans constituer eux-mêmes une église. Ils allèrent plus loin, et le chef du parti, Félicissime, trouva moyen de lui donner un évêque, Fortunatus, un des cinq anciens qui l’avaient suivi dès l’abord dans sa révolte ; il trouva en Afrique des évêques pour le consacrer à Carthage. Cornélius put alors prendre sur Cyprien sa revanche ; il avait eu besoin de lui contre Novatianus ; c’est Cyprien maintenant qui a besoin de Cornélius, et qui croit devoir lui écrire une lettre de vingt-cinq pages pour s’assurer son concours. Non pas que Cornélius n’eût résolument rejeté de sa communion le diacre rebelle Félicissime et ses associés ; mais depuis, ceux-ci lui avaient présenté une lettre par laquelle ils lui notifiaient l’ordination de l’évêque qu’ils s’étaient donné, et il n’avait pas refusé de la recevoir. C’est-à-dire que, comme Cyprien s’était fait prier autrefois pour satisfaire Cornélius, et s’était permis de le faire attendre, Cornélius à son tour se fait prier par Cyprien.

Il faut dire que celui-ci n’avait pas pris la peine, à ce qu’il paraît, de l’informer tout d’abord de cette ordination schismatique et d’en appeler à lui. Cornélius, après avoir reçu la lettre suspecte, s’était borné à s’excuser de l’avoir reçue, en disant que les rebelles avaient menacé, s’il ne la recevait, d’en faire une lecture publique,