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l’empereur et de la diète, et sa principale mission est de défendre les privilèges de notre royaume. » Le parti national indépendant réclame énergiquement pour la Croatie, vis-à-vis de la Hongrie, la situation qu’occupe la Hongrie vis-à-vis de l’Autriche. Toute décision prise à Pesth devrait être ratifiée à Agram. Il est évident que de semblables complications rendraient tout gouvernement impossible. Même dans les pays unifiés, le régime parlementaire fonctionne souvent avec grand’peine. Si deux ou trois parlemens, animés de sentimens opposés et souvent hostiles, doivent se contrôler les uns les autres, on aboutira inévitablement à l’impuissance et au chaos, et par conséquent au rétablissement d’un régime autocratique. Étendez autant que possible la compétence du gouvernement local et réduisez celle du gouvernement central, rien de mieux ; mais pour les affaires communes, il faut une décision définitive, prise dans un parlement unique et suprême.

Le parti national extrême, Rechtspartei, aspire à anéantir le Compromis. De même que les radicaux en Hongrie ne veulent conserver d’autre lien avec l’Autriche que l’identité du souverain, ainsi la gauche extrême en Croatie réclame l’indépendance complète du royaume triunitaire et l’union personnelle. Les plus avancés de ce groupe ont des tendances antidynastiques, républicaines et même socialistes. La jeunesse se rallie volontiers au parti extrême, dont elle considère le meneur, le docteur Starcevitch, comme son prophète. Le neveu de celui-ci, David Starcevitch, provoque souvent au sein de la diète d’Agram, par la véhémence de ses discours et de ses interpellations, des conflits qui amènent la suspension des séances. Le chef officiel de ce parti est le baron Rukavina. Les trois partis s’accordent à réclamer la réunion à la Croatie du district et de la ville de Fiume et de la Dalmatie, conformément aux précédens historiques.

La politique du ministère hongrois s’explique, car il est naturel que tout gouvernement s’efforce de faire prévaloir son autorité; mais, on ne peut se le dissimuler, elle est condamnée par ses résultats. Les tentatives faites pour étendre la compétence du pouvoir central ont provoqué une résistance universelle et une irritation profonde. L’Autriche, malgré les efforts persévérans d’une bureaucratie très habile et très tenace, n’a pas réussi à germaniser les Croates, alors que le sentiment national était encore complètement engourdi, et quoique la langue allemande représentât une civilisation plus avancée, une grande littérature, la science, et qu’elle fût le trait d’union avec l’Europe occidentale. Les Magyars ne peuvent donc pas espérer d’imposer leur langue, maintenant que la nationalité croate a une presse, une littérature, un théâtre,