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qui a fait événement dans sa visite récente à Florence, où elle est née ; grande, élancée, un port de déesse sur les nues, un teint chaud, éblouissant, et de grands yeux veloutés de Valaque. L’unique enfant, le prince Alexandre, qui apparaît avant qu’on ne se mette à table, a sept ans. Il est plein de vie et ressemble à ses parens, ce dont il n’a pas lieu de se plaindre. Quelle sera sa destinée ? Deviendra-t-il le nouveau Douchan de l’empire serbe ? Est-ce à Constantinople qu’il ceindra un jour la couronne des anciens tsars ? Dans ces pays en fermentation et en transformation, les rêves les plus audacieux, se présentent involontairement à l’esprit. En attendant, à côté du Konak actuel, on construit un grand palais avec des dômes prétentieux, qu’on a eu le tort de faire avancer jusque dans l’alignement du boulevard même.

La reine me rappelle que j’ai écrit, dans la Revue des Deux Mondes, certain réquisitoire contre le luxe qui doit me porter à condamner ces dépenses inutiles. « En effet, lui dis-je, je crois que c’est aux souverains à donner l’exemple de la simplicité et de l’économie. Partout les dépenses improductives ruinent les familles et les états. » Le roi et la reine parlent le français avec le meilleur accent. Après le café, on part pour le village où se célèbre la Slava. Il est situé au-delà de Topchidéré, non loin de la Save. La route n’est pas en très bon état ; mais nos chevaux hongrois nous entraînent au grand trot. Le maréchal du palais, le lieutenant-colonel Franassovitch, m’explique ce que c’est que la Slava. Chaque famille comme chaque village a sa Slava : c’est la fête du saint qui en est le patron. Elle dure plusieurs jours ; c’est une antique coutume qui remonte à l’époque où la famille patriarcale vivait groupée sous le même toit. Aujourd’hui encore elle se célèbre partout, même dans les villes. La maison se décore de feuillage et de fleurs. Un banquet réunit les plus proches parens, sous la présidence du chef de la famille. Un pain fait du plus pur froment est posé au centre de la table. Une croix y est imprimée en creux, au milieu de laquelle est fixé un cierge à trois branches, allumées en l’honneur de la Trinité. Le pope prononce une prière et appelle la bénédiction de Dieu sur toute la famille. Au dessert se succèdent les toasts et les chants ; les Serbes y excellent. C’est en assistant à une Slava, ou à la fête des morts, qu’on voit combien est encore puissant ici le sentiment familial. C’est un des caractères de toute société primitive où le clan, le γένος, la gens, est la cellule sociale, l’alvéole au sein duquel se conserve et se développe la vie humaine.

Le village où nous arrivons n’est qu’un petit groupe de maisons basses, couvertes de chaume et cachées en des vergers de grands pruniers à fruits violets. Pas d’église ; le centre est l’école. Sous la