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quantité d’artillerie et de munitions, avec assez d’argent pour permettre à Mayenne d’acheter les nobles de son parti et de se concilier les meneurs par des présens et des promesses, peut-être seraient-ils adoucis ; peut-être l’intérêt et la peur leur auraient rendu agréable ce qui leur plaît si peu aujourd’hui. » (3 octobre 1590.) Il avait toujours mis la vérité sous les yeux du roi : il avait prédit que, si les difficultés religieuses pouvaient être arrangées, même en apparence, tout le monde irait à Henri IV : il se méfiait de Mayenne et le croyait prêt à trahir le roi d’Espagne.

Philippe II était un visionnaire qui détestait tout ce qui venait traverser ses rêves : Farnèse lui était devenu importun. Il lui écrivit qu’il avait besoin de son assistance, qu’il voulait conférer avec lui sur les affaires de la chrétienté et lui commanda de se rendre en diligence à Gênes, en laissant le gouvernement des Pays-Bas, en son absence, au comte Mansfeld ; il envoyait en même temps le marquis de Cerralbo aux Pays-Bas pour servir en apparence de second au vieux Mansfeld, mais l’objet véritable de la mission de Cerralbo était d’enlever le commandement à Farnèse, ou de gré ou de force. Tout était prévu : le cas où Farnèse montrerait sa lettre de l’appel à Cerralbo, le cas où il ne la montrerait pas, où il prétexterait de sa mauvaise santé, où il voudrait laisser le pouvoir à son fils Ranuce. Cerralbo avait des pouvoirs secrets, des ordres pour tous les commandans de l’armée, pour les nobles du pays ; il devait remplacer Farnèse par le cardinal archiduc Albert, fils de l’archiduc Ferdinand.

Après la levée du siège de Rouen, Farnèse s’était rendu, pour sa santé, à Spa. La mission secrète, d’abord destiné au marquis de Cerralbo, avait été donnée au comte de Fuentes ; tuais la maladie fit ce que la malice des hommes n’eut pas le temps de faire. Vieilli avant l’âge, hydropique et goutteux, Farnèse ne vécut pas assez longtemps pour recevoir le coup que son maître s’apprêtait à lui porter. La bibliothèque de Madrid possède un manuscrit intitulé : « Los sucesos de Flandes y Francia, del tiempo de Alexsandro Farnèse, por et capitan Alonzo Vasquez. » Cette relation a été imprimée dans les Mémoires de la Société historique espagnole. Voici comment le capitaine Vasquez peint Farnèse au moment où, quittant Bruxelles, depuis plusieurs jours, il s’apprêtait à retourner une troisième fois en France. « Je le vis le jour qu’il sortait de Bruxelles, avec toute sa cour. Quoique le froid lût très rigoureux, il était vêtu d’une manière magnifique, et il me parut que, pendant tout le temps que je l’avais connu, je ne lui avais jamais trouvé un meilleur air. C’était merveille, en vérité, car il allait combattre non contre les hérétiques de France, qui l’attendaient,