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naturel et que le pape n’avait pas lui-même l’acuité d’accorder une dispense. Henri VII était d’autant plus enclin à s’en tenir à ce dernier avis, qu’il se connaissait encore des ennemis et qu’il ne voulait accorder aucune prise à ceux qui seraient tentés plus tard de contester les droits de sa famille au trône.

Quinze années auparavant, lorsqu’il s’était agi pour la première fois d’entrer en relations avec un roi d’Angleterre dont le trône ne paraissait pas bien solide, les souverains de l’Espagne avaient pris pour intermédiaire un aventurier qu’ils se réservaient de désavouer en cas d’échec. Cette fois, après un traité d’alliance et un mariage dont une mort imprévue compromettait toutes les conséquences, un personnage plus important devait intervenir. Le duc d’Estrada fut donc envoyé à Londres : conseiller ordinaire et presque ami personnel de ses maîtres, il connaissait les secrets et les projets du gouvernement de l’Espagne. Il fut reçu avec les honneurs que méritait son rang à la cour ; Catherine l’accueillit avec déférence ; mais, dès qu’il voulut entretenir Henri VII du nouveau mariage que rêvaient les parens de la princesse, il comprit que la négociation dont on l’avait chargé avait peu de chance d’aboutir. L’Espagne voulait entraîner l’Angleterre dans une guerre contre la France ; Henri VII avait renoncé depuis longtemps à revendiquer les prétendus droits que ses prédécesseurs avaient fait valoir sur la couronne de France ; il ne songeait qu’à vivre en paix avec tout l’univers, espérant par là conserver la paix intérieure de ses états et faire oublier que ses droits avaient été jadis contestés. L’Espagne voulait marier l’héritier du trône avec la veuve de son frère ; mais les conseillers les plus intimes du roi, entre autres le chancelier Warham, archevêque de Canterbury, objectaient la coutume et la loi canonique. Cependant personne ne voulait se brouiller avec Ferdinand et Isabelle. Quelqu’un suggéra que, dans le doute et même avec la certitude que le mariage projeté était incontestablement illicite, c’était une de ces affaires qu’il appartient au pape de juger ou même de résoudre par une dispense. Henri VII n’avait aucun motif de décliner celle proposition : il savait bien que l’appel à la cour de Rome était un ajournement lointain : tout délai permettrait d’attendre que les circonstances lui permissent un refus moins compromettant.

Son espoir fut en partie réalisé. Le pape régnant était Alexandre VI, enclin, par sa naissance espagnole, à satisfaire Ferdinand, et plus encore disposé à lui complaire, parce qu’il comptait sur la protection de ce monarque pour asseoir la fortune de son fils, César Borgia. Ce pontife n’avait pas moins d’intérêt à ménager le roi de France ; des Tudors il n’avait rien à attendre. Mais à peine la question lui avait-elle été déférée qu’il mourut. Son successeur ne fut pape que trois semaines ; il n’eut pas le temps d’y songer. Puis