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un livre nouveau, un précieux livre dont il a vu un exemplaire destiné à l’impératrice de Russie : la description de vingt-huit coiffures différentes avec autant de planches gravées et enluminées. Grimm veut absolument que la princesse ait ce volume, il saura bien se le procurer, le paiera, s’il le faut, au poids de l’or. La lettre n’était pas achevée qu’il fallait reprendre tous ces éloges. Grimm avait montré l’ouvrage à des femmes de sa connaissance qui avaient trouvé tous ces modèles affreux. » Elles prétendent que c’est un excellent livre quand on veut se coiffer comme les filles qui courent les rues. » Et le pauvre correspondant de faire son peccavi : « Je suis un peu humilié, dit-il, de tout l’étalage que j’ai fait de ce livre à Madame la princesse. »

Grimm ne met pas plus de délicatesse dans l’éloge de Louise-Dorothée qu’il n’en mettait tout à l’heure dans ses complimens à Frédéric ou qu’il n’en mettra plus tard dans l’expression de son admiration pour Catherine. Mon excuse pour insister sur cette fastidieuse rhétorique est la proéminence même du trait de caractère qu’elle révèle. Notre courtisan veut être compté au nombre des sujets de la duchesse, car s’il ne jouit pas de leur bonheur, il partage leurs sentimens. Il a tant éprouvé ses bontés qu’il ne lui reste plus qu’une chose à obtenir, c’est qu’elle y mette des bornes. Il reçoit ses lettres « avec le doux frémissement qui précède les sensations délicieuses, » et cependant il ne les ouvre jamais sans remords en pensant qu’elles ajoutent aux occupations de sa souveraine. Il embrasse les pieds de cette souveraine « comme les anciens embrassaient les autels de leurs divinités propices. » Le jour de l’anniversaire de la naissance de l’auguste princesse, ne pouvant lui porter personnellement ses hommages et ses vœux : « Je parerai, du moins, dit-il, ma retraite en ce jour, et si je n’en sais aucun où mon cœur ne soit occupé de sa reconnaissance, je mettrai ce jour-là tant de solennité au culte que je rends à la souveraine des cœurs qu’il devienne pour moi le plus doux comme le plus précieux de l’année. » Et dire que nous retrouverons tout cela presque mot pour mot dans les lettres à la tsarine ! Personne probablement ne se tirerait tout à fait bien de l’épreuve qu’on lui ferait subir en imprimant ses lettres, mais il faut avouer que Grimm souffre particulièrement de la révélation d’une si misérable courtisanerie.

La duchesse mourut en 1767. Grimm fut chargé de faire faire le monument que son époux voulait lui élever. C’est lui qui choisit le sculpteur et qui signa, par-devant notaire, le traité relatif à l’exécution de cette œuvre d’art : « Le mausolée, lisons-nous dans cet acte, sera en marbre, ayant principalement deux statues : l’une qui représentera la princesse assise, qui s’endort du dernier sommeil, la tête penchée en arrière dans des cyprès, et l’autre la