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Thuringe, s’empressant de s’approcher de la princesse en lui prenant le bras gauche, le baisant et arrosant de ses larmes cette bienfaitrice si regrettée. Ces deux statues auront chacune au moins six pieds de proportion, en marbre blanc, et deux pouces de plus s’il le faut pour le bien de l’ouvrage. » Guiard, le sculpteur, devait terminer son travail en trois ans et recevoir 40,000 livres. On ne sait pourquoi, après tous ces soins, le monument resta à l’état de projet ; il n’en subsiste que le modèle conservé dans le musée ducal de Gotha.

La duchesse Louise était morte sans avoir rien fait d’essentiel pour Grimm en retour de tant de peines prises et de protestations passionnées ; mais la faveur dont il jouissait à la petite cour ne finit pas avec la vie de sa protectrice. Le duc, qui survécut quelques années à sa femme et qui avait partagé les sentimens de celle-ci pour Grimm, lui accorda, en 1769, le titre de conseiller de légation avec une pension de 1,000 livres. Son successeur, Ernest II, fit plus encore, et, en 1776, éleva le conseiller au poste de ministre plénipotentiaire à Paris, fonction que Grimm remplit jusqu’au jour où la révolution l’obligea de quitter la France. Ajoutons que ses relations avec le duché ne cessèrent pas pour cela, puisque c’est à Gotha qu’il passa ses dernières années.


V

Les correspondances privées de Grimm ont cet avantage pour le biographe qu’elles se succèdent ; l’une reprend là où l’autre s’est arrêtée, de sorte que, réunies, elles nous donnent des informations sur plus de trente années de sa vie. Quand la duchesse de Saxe-Gotha mourut, Grimm était déjà en commerce de lettres avec la landgrave de Hesse, et ses relations avec la cour de Darmstadt durèrent jusqu’à la mort de cette princesse, époque peu éloignée de celle où commence la correspondance avec Catherine.

Sans avoir été associé à des événemens considérables, mais par l’effet de son seul mérite, de l’impression que sa personne avait faite sur ses contemporains, Caroline de Hesse a conservé dans l’histoire de son pays le surnom de « la grande landgrave. » Fille d’un comte palatin de Deux-Ponts, elle avait épousé, en 1741, le prince héréditaire du landgraviat de Hesse. Ce prince, qui ne succéda à son père que vingt-sept ans après ce mariage, était d’un caractère bizarre, fâcheux, atrabilaire, avec une passion pour le militaire qu’il satisfit successivement au service de France, comme colonel d’un régiment prussien, et, enfin, dans des efforts malheureux pour se créer à lui-même une armée. Eprouvant plus d’estime que de tendresse pour sa femme, il cohabitait aussi peu que possible ; elle