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belle route en lacets y mène de Trapani, et l’on atteint le sommet en trois ou quatre heures. Là, ou est surpris de trouver une des petites villes assurément les plus curieuses qu’on puisse voir. Enfermé dans de solides murailles, qui remontent aux temps les plus reculés, défendu par des tours et des bastions, San-Juliano contient près de quatre mille habitans qui ont grand’peine à tenir dans un espace fort resserré. La ville a un air antique et sévère et peu de chose y a été fait pour l’agrément. Quand on parcourt ces rues étroites et escarpées, que bordent de petites maisons avec des portes basses et des fenêtres rares, quand on sent l’âpre bise qui souille pendant les plus belles journées, et qu’on songe que, dans l’hiver, le temps doit y être souvent fort rigoureux, on se demande comment des hommes ont pu être tentés de placer si haut leur demeure. Cependant ce lieu est un des plus anciennement peuplés du monde ; on y a trouvé des restes d’armes en silex, ce qui prouve qu’avant même que l’on connût les métaux, il avait des habitans. Une montagne isolée, facile à défendre, dont les racines plongent dans la mer, et qui est pourvue, à son sommet, de sources d’eau intarissables, offrait un asile sûr à ceux qui voulaient mettre leur fortune et leur vie à l’abri d’un coup de main. Plus tard elle servit de forteresse à tous les conquérans de la Sicile, et les Grecs, les Carthaginois, les Romains, s’en disputèrent avec acharnement la possession. Les habitans y furent plus nombreux que jamais, au milieu des violences du moyen âge, et c’est alors que, pour leur faire place, les maisons furent obligées de se serrer, comme nous le voyons, les unes contre les autres. Aujourd’hui qu’on peut vivre sans danger dans la plaine, la montagne se dépeuple peu à peu, et l’on peut prévoir qu’un jour la petite ville, devenue presque déserte, ne sera plus guère fréquentée que par les curieux qui visitent ce pays à la recherche des souvenirs antiques.

Ce qui les attire surtout ici, c’est la renommée du fameux temple de Vénus qui couronnait autrefois la montagne. Ils ne l’y trouveront plus ; le temple a péri tout entier, et il n’est guère possible que d’en reconnaître la place, un peu au-dessus de San-Juliano s’étend un large plateau auquel on arrive par une petite promenade plantée d’arbres et bordée de fleurs. Ce plateau devait être primitivement plus étroit ; on l’avait agrandi au moyen d’énormes substructions qui plongent quelquefois très bas et vont s’appuyer sur les saillies du rocher. Les ouvrages de ce genre étaient fréquens chez les anciens, qui ne reculaient devant aucun travail pour asseoir solidement les bases de leurs édifices. Mais celui-ci avait frappé par ses vastes proportions les anciens eux-mêmes, et, n’en connaissant pas l’auteur, ils l’attribuaient à Dédale, l’artiste légendaire,