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ainsi parler, les contours psychologiques de cet homme universel dont l’âme, depuis eux, ira toujours se modifiant, se compliquant, s’enrichissant en mille manières, au gré de mille circonstances, mais ne cessera pourtant pas, dans son fonds, d’être elle-même. Pour ce motif ils sont simples, d’une simplicité qui subsiste jusque dans l’affectation de leur style, et d’une simplicité dont nous n’avons pas retrouvé le secret : autre raison encore pour qu’ils conviennent merveilleusement à l’éducation de la jeunesse, de enfant de quinze ans, mis au point de les lire, n’entendra peut-être pas toutes les finesses de leur rhétorique, mais il se retrouvera d’abord de plain-pied avec eux. Et, dans la connaissance de l’homme comme partout ailleurs, si c’est par degrés que l’on va du simple au complexe, les classiques latins en ont marqué le premier avec une précision, un bonheur, une force qui n’a pas été, ni sans doute ne sera dépassée.

Ce que je dis de leur psychologie, quelqu’un me fait observer que je puis le dire aussi de leur morale. Ils sont laïques : c’est ce qui les sauvera peut-être un jour de la proscription, si même ce n’est de quoi les rendre obligatoires. Bossuet, mal entendu, Voltaire, bien compris, peuvent former des fanatiques ; ni Cicéron ni Tite Live ne le peuvent, quand on le voudrait. Qui tirera jamais d’Horace une leçon d’intolérance ? et quel ombrage prendrait-on des superstitions de Virgile ? Voyez, au contraire, de nos grandes littératures modernes, si l’on commençait par retrancher toutes les œuvres expressément marquées d’un caractère confessionnel, comme les Provinciales et l’Histoire des variations, c’est, à peu près toute l’éloquence et une bonne part de l’histoire que l’on aurait sacrifiées. Si l’on poursuivait l’expérience, et que de ce reste, à son tour, on voulût effacer tous les endroits marqués au même signe, de l’Essai sur les mœurs ou de l’Emile toutes les attaques au christianisme, la prose moderne y fondrait tout entière. Les poètes eux-mêmes ne résisteraient pas : Dante et Tasse, Lope et Calderon, diversement catholiques, le sont autant que Milton est sans doute protestant. Ne serait-ce pas ici la moralité des classiques anciens et des Latins en particulier, moins subtils, plus graves que les Grecs ? C’est une question de savoir si l’on a fait depuis eux de grandes découvertes en morale ou, du moins, celles que l’on a faites, ce serait toute une affaire d’en expliquer la vraie nature. Mais, en tout cas, les leçons qu’ils donnent et les règles qu’ils enseignent, indépendantes, comme elles sont, de tout dogme, par cela même et par cela seul, conviennent à tout le monde, à l’école juive, au gymnase protestant, au collège catholique, ne peuvent pas plus inquiéter les consciences à Moscou qu’à Madrid, et forment ainsi la matière la mieux appropriée qu’il se puisse à