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de don Diègue, montrerait comme on se brise au relief du vers, à la concision du dialogue cornélien. Une fois même, le musicien a trahi non seulement les paroles, mais le sentiment du poète : dans l’arioso de don Diegue à Rodrigue, C’est lui qui m’a frappé, le mouvement est trop lent, le dessin musical trop mou. Cette joue encore chaude du soufflet, le vieillard devrait la montrer à son fils avec moins de tristesse et plus de colère ; il faudrait, au lieu d’une complainte, une imprécation.

Au second acte, nous sommes devant le palais du comte. Les fameuses stances : Percé jusques au fond du cœur, commencent avec solennité par une phrase sombre, dont la cadence est originale, mais elles se poursuivent dans un style trop haché ; surtout elles s’achèvent par un de ces brusques passages du mode mineur au mode majeur dont l’auteur du Cid aurait dû se montrer plus sobre. Le duo de la provocation n’est que bien fait ; il manque de chaleur et de rapidité. Au contraire, c’est par trop de rapidité, mais parla seulement, que pécherait plutôt la belle scène qui suit. Du palais où l’on a porté le cadavre, où se chante déjà la prière des morts, Chimène sort égarée. Sans que personne réponde à sa demande farouche, elle arrive devant Rodrigue, devine tout et tombe inanimée. L’effet dramatique est saisissant ; l’effet musical ne l’est pas autant. Il paraît écourté. Une telle situation, il est vrai, ne voulait qu’un grand coup, mais un coup de foudre.

Au tableau suivant, on danse sur la place de Burgos. Tout le ballet est à la fois très franc et très ingénieux. Comme on comprend que Mlle Mauri s’enlève sur ces rythmes nerveux, qui bondissent et rebondissent avec elle !

Dans la Castillane et l’Aragonaise, des traits sifflent comme des coups de fouet. La Navarraise est précise, le pas de deux endiablé. L’Andalouse et le début de la Madrilène, deux pages rêveuses, abondent en détails exquis d’harmonie et d’instrumentation ; l’entrée des chœurs excitant la danse de leurs cris, donne au finale une saveur très relevée.

La perle de l’acte est la mélodie de l’infante : une délicieuse sérénade de bienfaisance. Les dons aux malheureux et les vœux aux jeunes mariés se mêlent dans ces aimables couplets. Aumône d’argent, aumône d’amour ! Sa bourse à la main et sa chanson aux lèvres, la douce princesse donne en passant : « Au riche un peu de joie, au malheureux du pain ! » Ce petit alleluia est plein de mansuétude et de bonté, et le refrain des moines mêle à sa grâce une nuance de gravité.

Soudain Chimène accourt et demande justice. Nous n’aimons guère ni sa requête, ni la défense de don Diègue ; mais le chœur qui suit, écrit dans le style de Verdi, n’est pas sans puissance.