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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/140

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fait, l’autocrate romanesque et philanthrope. « Il me paraît être, dit-elle, constitué de nature à mettre suite et intrépidité dans les choses qu’il entreprendra ; or, je crois que ce qu’il entreprendra ne seront point choses nuisibles au prochain, parce qu’il a la larme à l’œil du mal qu’il voit ou croit arriver à ce prochain. (1782.) » Que de gaîté, en attendant, et quels jeux et quel bruit ! « j’ai la main tremblante à force de rire, écrit la bonne-maman ; je suis venue ce matin de Tsarskoé-Sélo avec mes deux petits-fils ; il n’y a qu’une chambre entre la leur et la mienne, par conséquent ils se sont établis chez moi et font un train terrible. Il a fallu les chasser pour avoir un moment de repos ; encore sont-ils sortis en chantant une marche d’opéra, chacun tenant son chien par la patte en guise de princesse. Vous pouvez juger par là du ton que nous prenons ; ces morveux sont charmans. » Il y a aussi les petites-filles, qu’on aime bien, mais qui intéressent moins, en tout cinq ou six marmots qui voudraient ne jamais quitter la grand’mère. « Ils tiennent à moi comme des chardons, et il faut que je me secoue pour les faire en aller. »

Les enfans grandissent : Alexandre a quinze ans et Constantin en a treize. Alexandre va se marier ; sa grand’mère en fait un dernier portrait : « Vous seriez enchanté et étonné de voir ce grand et superbement beau et bon jeune homme. Oh ! comme cela s’annonce ! comme cela est la candeur et la profondeur personnifiée ! comme cela a de la suite et des principes avec un désir sans égal de bien faire ! Oh ! qu’il sera heureux et qu’on sera heureux avec lui ! Outre cela, il est d’une modestie extrême, et rien n’est affecté, tout est naturel. Oh ! l’excellent sujet, dont tout le monde raffole et dont vraiment on peut raffoler ! C’est mon bien-aimé, il le sait, mais il ne s’en fait pas accroire pour cela. La tête est belle, un peu inclinée en avant ; mais quand on le regarde on oublie ce défaut, et quand il danse, monte à cheval et se redresse, on ne peut s’empêcher de penser à l’Apollon du Belvédère. Il en a tout à fait la majesté. En vérité, c’est trop pour quatorze ans[1]. » Constantin est tout autre chose, « une machine à bâtons rompus, pétillant d’esprit. » — « Vous n’avez pas d’idée de ce drôle de corps ; d’abord il n’est pas beau, extrêmement vif, rempli d’esprit et de saillies, étourdi comme un hanneton, convenant avec franchise de ses fautes, ayant le cœur excellent et désirant de bien faire. C’est selon moi un sujet charmant et assurément distingué dans son espèce. Le public aime mieux sans comparaison son frère ; malgré cela, je prédis un rôle brillant à cet original, qui, pendant son enfance, était un ours mal léché et présentement n’est rien moins que

  1. En allemand dans l’original.