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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 73.djvu/168

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ligne des frontières gréco-turques qu'il conviendrait d’adopter. » Cette proposition, vivement appuyée par M. de Freycinet, reçut l’approbation des cabinets européens. La conférence se réunit à Berlin, dans le courant de juin 1880. Les plénipotentiaires s’étaient adjoint une commission militaire de dix membres qui avait mission de préciser, en tenant compte des conditions oro-hydrographiques et des exigences stratégiques, la ligne frontière indiquée d’une façon générale dans l’article 24 du traité de Berlin. La commission proposa un nouveau tracé par lequel la frontière suivrait, de l’ouest à l’est : d'abord, le thalweg du Kalamas depuis son embouchure jusqu'à sa source; ensuite les crêtes formant la ligne de séparation entre les bassins de la Vonitza, de l’Haliacmon et du Mavroneri, au nord, et du Kalamas, de l’Arta, du Salamvrias au sud ; enfin les crêtes de l'Olympe jusqu'à son extrémité orientale sur la mer Egée. Cette délimitation fut adoptée à l’unanimité par la conférence, qui, les discussions étant closes, rédigea en ce sens son Acte final.

Devant « cette manifestation solennelle de la volonté de l’Europe, » selon les paroles du prince de Hohenlohe, président de la conférence; devant ce « verdict européen, » selon celles de M. de Freycinet; devant «cette décision, obligatoire pour la Turquie comme pour la Grèce, » selon celles de lord Salisbury, les Turcs ne furent pas autrement troublés. Ils affectèrent de considérer comme nulle l’œuvre de la conférence, qui, à les entendre, n’avait en rien avancé la solution de la question. Ils multiplièrent les notes et les circulaires, protestant à la fois et de leur ardent désir de déférer aux vœux des puissances et de leur ferme volonté de n’y point accéder. En vertu de l’axiome cher aux mauvais débiteurs, « qui a terme ne doit rien, » la Turquie cherchait surtout à temporiser. Elle y réussit. Or, gagner du temps, c’est souvent tout gagner. Les ministres changent quelquefois en France, et il arrive que, même en ce qui regarde la politique extérieure, les nouveaux ministres s’empressent de défaire ce qu'ont fait leurs prédécesseurs. A son entrée aux affaires étrangères en octobre 1880, M. Barthélémy Saint-Hilaire sembla, il est vrai, vouloir poursuivre l’œuvre de M. de Freycinet. Ses premières lettres à MM. Tissot et de Moüy témoignent de l’importance qu'il attachait primitivement à l’Acte final de la conférence de Berlin. Mais on s’aperçut bientôt que M. Barthélémy Saint-Hilaire ne reportait pas sur les Grecs la profonde et légitime affection qu'il a vouée à Aristote. « Le titre irréfragable de la Grèce » n'est plus que « la prétention de la Grèce ; » le « verdict européen » devient « un simple conseil de l’Europe » et la « décision obligatoire » une « délibération doctrinale. » Alors que les six ambassadeurs près la Sublime-Porte avaient déclaré, le 31 août, par