Il n’est, en dehors de la Porte, qu’une puissance dont l’Angleterre ait pu un moment escompter le concours, et cette puissance se fût bien gardée de marcher à côté de ses amis de la Grande-Bretagne contre la Russie. On sent que nous voulons parler de l’Italie, qui, n’ayant pas recueilli de l’alliance austro-allemande tous les bénéfices qu’elle en attendait, s’était décidée à faire des avances à l’alliance britannique. L’Italie a jadis trouvé trop d’avantage à se mêler aux querelles d’autrui pour avoir oublié le jeu de Cavour en Crimée. Il est vrai que le rôle de modeste satellite, accepté par le Piémont en 1854, ne saurait convenir à la péninsule devenue grande puissance ; mais, des souvenirs du siège de Sébastopol, il lui est resté une leçon : c’est qu’en politique les chemins détournés sont parfois les meilleurs. Comme l’Allemagne, avant l’Allemagne même, la nouvelle Italie s’est, elle aussi, laissé prendre par la fièvre coloniale. À cela rien que de naturel et de légitime, quoique les déboires d’autrui aient pu refroidir les premières ardeurs de nos voisins d’outre-monts. c’est vers l’Afrique, on le sait, qu’ils ont jeté leur dévolu ; et, ne pouvant débarquer directement à Tripoli ou en Égypte, les diplomates de la Consulta ont cru un mor ment découvrir les clés de la Méditerramée dans la Mer-Rouge. De là, — M. Mancini nous en a naguère avertis du haut de la tribune, — l’expédition de Massouah. En agissant d’accord avec l’Angleterre, en lui apportant, sur les côtes du golfe Arabique ou sur la lisière du Soudan, un concours matériel ou moral, l’Italie pouvait se flatter d’entrer à la suite des Anglais en Égypte et d’y prendre, à côté d’eux, une influence dominante. La mort de Gordon et la chute de Khartoum ont, pour un temps du moins, découragé ces espérances. s’ils étaient enclins à l’alliance anglaise, les Italiens n’entendaient point que, selon une comparaison célèbre, l’alliance de leur pays avec la Grande-Bretagne ressemblât à celle du cheval et de l’homme. Le foreign office a-t-il jamais songé à faire monter la garde par les bersaglieri sur la Mer-Rouge et le Haut-Nil, afin de laisser aux habits rouges les mains libres ailleurs, le foreign office a fait un rêve. Les Italiens semblent déjà moins portés pour ces vagues plans d’action commune dont le mystère même semblait leur sourire six mois plus tôt. M. Mancini a payé de son portefeuille le rapide désenchantement d’un pays qui lui eût reproché de n’avoir rien tenté ; il est tombé victime de la politique coloniale, qui semble destinée à trancher bien des existences ministérielles. Alors même que la Consulta reprendrait les négociations avec le foreign office pour une action commune au Soudan, personne, au sud des Alpes, ne songerait à refaire campagne à côté des Anglais contre la Russie. On s’en peut fier, sur ce point, à M. Depretis et à la prudence italienne.
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