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cortège, et un frisson le précédait, courant de lit en lit, comme une vague.

Le tour de mon frère devait bientôt venir. Un des premiers médecins de la ville, le docteur Peyton, essaya vainement toutes les ressources de son art pour le sauver. Comme le premier examen l’avait révélé, ses blessures étaient inguérissables. Le soir du sixième jour, son esprit incertain s’occupa de choses lointaines et ses doigts anémiés se mirent à griffer sa couverture. Son heure était arrivée. Nous emportâmes le pauvre enfant dans la chambre de mort.


IV. — VINGT ANS APRES.

Depuis lors, une vingtaine de longues années se sont écoulées une à une. Mon éducation terminée, j’avais obtenu ma patente, et peu à peu j’étais parvenu à compter parmi les vrais pilotes, Ma situation était prospère. La navigation à vapeur allait se développant chaque jour davantage, — et le travail venait au-devant de moi. C’était tout ce qu’il me fallait ; le temps passait doucement, sans secousses, et j’espérais terminer mes jours sur le grand fleuve, la main sur ma roue. Mais, un beau jour, survint la guerre de sécession ; le commerce s’arrêta d’abord, puis, quand la tourmente fut passée, il prit d’autres voies, et préféra les nouveaux chemins de fer au vieux Mississipi. Les steamers disparurent peu à peu, et à peine en trouve-t-on encore quelques-uns aujourd’hui sur cette route jadis si fréquentée. Des remorqueurs, plus économiques et moins brillans, font à peu près tout le gros travail de nos jours. Mon métier se trouvait ainsi annulé entre mes mains ; il fallut chercher d’autres moyens d’existence.

J’accumulai les expériences. D’abord mineur dans les terrains argentifères de Nevada, je fus ensuite reporter de journaux, puis mineur encore, tenté par l’auri sacra fames, en Californie ; puis je revins au journalisme, à San-Francisco, aux îles Sandwich, en Europe, en Orient, à titre de correspondant particulier. Ensuite je me fis conférencier, et en dernier lieu, écrivailleur de minces ouvrages, après avoir définitivement dressé ma tente parmi les inamovibles de la Nouvelle-Angleterre. — Après des fortunes si diverses, la tranquillité (levait me paraître chose un peu fade. Un matin, je me sentis mordu au cœur par le désir de revoir le théâtre de mes premiers exploits, et me voilà en route de nouveau, pour un vrai pèlerinage, cette fois.

Après-un long trajet, nous approchons de la Nouvelle-Orléans.