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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/128

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adopté dans l’ouest les mêmes procédés de pénétration, mais ces lignes mènent à Laghouat, El-Goléa, marchés fermés comme Ouargla; elles sont donc bien moins fréquentées que celles où les senoussya s’avancent et règnent sans conteste. Tout moyen est bon à ces derniers pour supplanter leurs rivaux, déraciner leurs doctrines du sol où ils apportent la leur. De même, ils n’épargnent rien pour se concilier les personnages puissans de l’islam. Aussi habiles à prêcher au centre de l’Afrique qu’à intriguer dans les sérails de Constantinople et des grandes villes d’Orient, ils entretiennent des agens secrets, des femmes même qui surveillent, entourent, circonviennent quiconque a le pouvoir de les aider ou de leur nuire; ils recrutent ainsi, par la persuasion ou par la menace, nombre d’adhésions ; ils s’assurent, en tout cas, une neutralité qui leur permet d’exercer impunément leur action panislamique. Le sultan, contre lequel en fait cette action s’exerce, n’a pas manqué de chercher à en atténuer les effets. A l’instigation de son directeur spirituel, un des membres les plus fanatiques et les plus actifs du senoussisme, il n’a rien trouvé de mieux, pour se défendre d’une secte qui pouvait lancer contre lui l’anathème, que d’en faire partie. Quelle est la part de la prudence dans cette affiliation? quelle est celle de la conviction? Le cheik Mohamed-Zaffur seul sans doute le sait. En tout cas, nous avons une preuve de plus de la facilité avec laquelle les senoussya s’insinuent dans tous les milieux, aussi bien dans ceux qu’ils veulent conquérir ou reprendre que là où ils cherchent seulement à se faire tolérer.

Un dernier fait marque mieux encore le succès de leur propagande : aujourd’hui, pour les croyans de l’ouest et du Soudan qui vont en pèlerinage à La Mecque, la zaouïa de Djarboub est devenue une station presque obligatoire. Si bien que, dans l’espoir d’arrêter ce dangereux courant, nous organisons en Algérie des pèlerinages directs par mer. M. Duveyrier rapporte que plus d’un musulman considère la zaouïa de Senoussi comme le but de son voyage, et ne va pas plus loin. Djarboub est aujourd’hui une ville; 6,000 à 7,000 habitans y sont fixés comme dans une forteresse. Le chef politique et religieux de l’ordre peut y recevoir en toute sécurité ses mokaddems, y tenir des assemblées analogues à celles des taïbya. Les habitans mettent en commun leurs biens et leur travail; les esclaves cultivent les terres dont le produit est partagé entre la zaouïa et les fidèles, suivant les charges, la dignité, l’influence, les apports de chacun. La même organisation est adoptée dans les zaouïas secondaires ; mais une troisième part y est faite : celle qui doit être envoyée à la zaouïa mère. C’est à Djarboub qu’est le trésor de l’ordre, trésor immense, disent les Arabes;