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de cette politique. La liberté religieuse leur fut promise, on parla même de les autoriser à construire des temples. L’on espérait ainsi rappeler dans leur ancienne patrie les descendans des proscrits de redit de Nantes. C’était se consoler trop facilement d’une situation très fâcheuse, et ne pas prévoir assez les très graves conséquences d’une conduite hésitante et imprévoyante.

La marche victorieuse et rapide de l’armée prussienne, le siège d’Amsterdam, où, prétendait-on, vingt mille personnes avaient succombé, devaient produire dans l’Europe entière une impression aussi funeste que durable. Le 27 octobre, la cour de Londres faisait remettre à celle de Versailles une déclaration pour l’inviter à la cessation commune des armemens. « Les événemens qui ont eu lieu dans la république des Provinces-Unies ne peuvent plus laisser aucun sujet de discussion, encore moins de contestation entre les deux cours. » La réponse de la France fut catégorique : « l’intention de Sa Majesté n’est pas et n’a jamais été de s’immiscer par la force dans les affaires de la république. Elle ne conserve aucune vue hostile relativement à ce qui s’est passé. » La conséquence de ce langage était facile à prévoir. Le 4 avril 1788, était signée l’alliance offensive et défensive de la Prusse et des Pays-Bas ; le 15 avril de la même année, était conclu un traité presque analogue entre les Pays-Bas et l’Angleterre.

« Nous avons été surpris, écrivait M. de La Fayette à Washington ; le roi de Prusse a été mal dirigé, les Hollandais sont ruinés, et l’Angleterre se trouve la seule puissance qui ait vraiment gagné au marché. » Ni la France, ni l’Angleterre, ni la Prusse n’avaient vraiment gagné au marché. La France devait se ressentir longtemps de l’erreur qu’elle avait commise en laissant s’engager une lutte qu’elle ne voulait ou ne pouvait pas soutenir. La Prusse, trompée par notre apparente faiblesse, allait apprendre, en 1792, que les défilés de l’Argonne s’enlevaient moins facilement que les écluses d’Amsterdam. L’Angleterre elle-même avait-elle suivi une politique sage et prudente en montrant aux soldats prussiens la route à suivre pour occuper en moins de cinq jours la moitié des Pays-Bas?

Frédéric le Grand, il n’y a guère plus d’un siècle, terminait par ces lignes quelque peu sceptiques son Histoire de la guerre de sept ans : « c’est là le propre de l’esprit humain que les exemples ne corrigent personne; les sottises des pères sont perdues pour les enfans. Il faut que chaque génération fasse les siennes. » l’avenir prouvera, je l’espère, que Frédéric le Grand s’est trompé.


PIERRE DE WITT.