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les invasions germaniques. Le nord et l’est de la Gaule, les cantons du Rhin, de la Meuse, de l’Escaut sont remplis de païens, et les rares prédicateurs qui s’y aventurent trouvent le culte et les superstitions germaniques mêlés au culte et aux superstitions du paganisme classique. À Trêves, une statue de Diane est vénérée par les barbares, et l’anachorète Wulfilaisch jeûne et prie pour obtenir de Dieu qu’elle soit renversée. À Cologne, les Francs célèbrent des orgies dans un sanctuaire païen, et le diacre Gallus, qui l’a incendié, échappe à grand’peine à la fureur des guerriers en se réfugiant auprès du roi Thierri. Ces rois de l’Est ont beau se dire les fils de l’église et proscrire le paganisme dans leurs lois : ils sont contraints de le subir. Un jour, saint Waast a suivi Clotaire dans un banquet offert par un guerrier franc : sur la table, il voit des vases pleins de bière bénits pour les convives chrétiens et d’autres préparés pour les païens. Théodebert est loué par Grégoire pour sa piété ; il se donne lui-même comme un champion du catholicisme et parle à de certains momens comme un croisé : lorsqu’il passe en Italie pour y combattre les Goths et les Byzantins, son armée arrivée aux bords du Pô y précipite des corps d’enfans et de femmes, afin de se rendre favorables les dieux de la guerre par un sacrifice humain. Dagobert honore les saints et les martyrs, et le monastère de Saint-Denis comblé de ses libéralités : dans une expédition en Germanie, il a des païens avec lui. Le paganisme qui se montrait dans l’intimité de ces rois toujours entourés d’évêques vivait à plus forte raison dans le peuple, en ce temps où les églises étaient très rares et où des paysans pouvaient passer leur vie sans voir un prêtre.

Il y eut au VIe siècle une sorte de renaissance chrétienne sur les bords du Rhin. À Trêves, à Mayence, à Cologne, à Metz, des évêques rebâtissent des églises, et le poète Venantius Fortunatus les loue d’avoir renouvelé les temples de Dieu. L’ancienne frontière est ainsi touchée, mais en-deçà le paganisme se défend toujours. L’église franque ne s’inquiète ni ne s’offense de ce voisinage. Les seuls actes de prosélytisme qu’elle ait faits sont les missions de saint Eloi et de saint Amand, qui prêchent dans le pays entre Escaut et Meuse, au milieu du VIIe siècle. À quelques lieues des n’Has royales de Neustrie, ils trouvent des hommes pour qui c’est une nouveauté que d’entendre parler du Dieu unique, créateur du ciel et de la terre.

Voici enfin la démonstration éclatante de l’impuissance de l’église mérovingienne : les premiers grands missionnaires vinrent à la Germanie, non point de la Gaule voisine, mais de la lointaine Irlande. L’histoire de l’église irlandaise s’oppose trait pour trait à celle de l’église franque. Le christianisme prêché en Irlande au Ve siècle par saint Patrice fit rapidement son chemin dans une population homogène habitant un territoire peu