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III

Voilà donc deux écoles dotées de moyens d’expression également variés, sachant animer le marbre, fixer par le pinceau les impressions les plus fugitives comme les plus durables. Des deux côtés la même curiosité, qui s’étend aux petites choses aussi bien qu’aux grandes, un esprit de probité qui interdit d’aborder les côtés littéraires de la composition avant que les moindres détails, une boucle de cheveux, les anneaux d’une chaîne, le pommeau d’une épée, les feuilles d’un arbre, aient été rendus avec la plus grande exactitude. Quel usage les deux rivales feront-elles de tant de perfectionnemens merveilleux inconnus aux artistes du moyen âge ?

Prenons d’abord la sculpture. Nulle contrée ne semblait devoir être moins favorable à son développement que les Pays-Bas, également" pauvres en modèles antiques et en modèles vivans. Ce n’est point, en effet, faire injure aux races wallones ou flamando-hollandaises que de les considérer comme inférieures, pour la pureté des formes, à la race italienne, dont les modèles, hommes et femmes, sont, aujourd’hui encore, en possession de défrayer les ateliers de l’Europe entière, depuis l’Angleterre jusqu’à la Russie. Aussi voyons-nous le plus grand des sculpteurs de la fin du XIVe et du commencement du XVe siècle, Claux Sluter, quitter sa patrie pour aller chercher fortune en Bourgogne, sous un ciel plus clément, au milieu d’une population plus belle. C’est en France également, à Dijon, à Bourges, à Tours, et, en général, sur les bords de la Loire, que les disciples de Sluter, parmi lesquels il faut ranger, en premier lieu, Michel Colombe, continuent son œuvre. Cette école, française par adoption, sinon d’origine, aura assez de vitalité pour nous donner encore, dans le premier tiers du XVIe siècle, après 1520, l’admirable tombeau des Poncher, au musée du Louvre, cette page si simple, si grave, si recueillie, et qui ne doit aucune de ses qualités aux ultramontains.

Le moment n’est plus où l’on constatait que l’auteur du mausolée de Philippe le Hardi « possédait à un faible degré le sentiment de l’art, que les figures auxquelles il a voulu imprimer un caractère de gravité et de mélancolie représentent plutôt la douleur physique, que les corps sont trop courts, les attitudes mauvaises, en un mot, que l’artiste a peu de goût. » Ici même, M. Montégut a brillamment réhabilité le maître glorieux à qui la statuaire France-flamande doit sa renaissance ; grâce à ses efforts, grâce à ceux de M. Alfred Michiels, de Waagen, de Schnaase, de Lübke et de différens autres savans, le nom de Claux Sluter commence enfui à sortir de