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quelque vertu, la foi, la force, l’espérance, leur impuissance éclate brusquement ; ils ne savent représenter que ce qu’ils ont sous les yeux.

Dans l’intervalle, l’Italie s’applique sans relâche à dégager de la forme humaine ceux des traits qui lui paraissent les plus parfaits ; elle s’efforce de créer, à côté de la vérité historique, cette vérité idéale qui est de tous les pays et de tous les temps ; elle prend pour base de ses études le nu, c’est-à-dire ce qu’il y a d’essentiellement durable, laissant sa rivale s’attacher à l’enveloppe, au costume, qui varie d’âge en âge.

Cette tendance à rapprocher l’histoire sainte des événemens de l’existence contemporaine, cet éloignement pour le style héroïque, finissent par substituer les épisodes, les anecdotes, et, pour l’appeler par son nom, la sculpture de genre aux hautes et sévères créations du moyen âge. Il ne suffit plus aux artistes d’habiller les patriarches comme les bourgeois du XVe siècle, de faire porter un béguin et des souliers à la poulaine aux héroïnes de l’Ancien et du Nouveau-Testament, à Judith comme à Marthe, à Rébecca comme à Marie-Madeleine : ils leur prêtent, en outre, exactement les sentimens du temps. Examinez, par exemple, sur les belles stalles de la cathédrale d’Amiens, la scène où Abraham congédie Agar ; vous croirez voir l’illustration du récit d’un de nos spirituels conteurs du XVe siècle. Le dédain pour la couleur historique n’a jamais été poussé aussi loin, si ce n’est peut-être chez les maîtres spirituels et frivoles du siècle dernier.

Il était réservé à un artiste né sur les bords de la Loire, et qui représente la plus pure tradition française, de réagir contre ces excès, de ménager la transition du naturalisme au style classique. Après avoir sacrifié dans sa jeunesse aux principes de l’école de Dijon, notre vaillant Michel Colombe se rallia dans la suite à ceux de l’Italie. Le moment n’était pas venu encore de fondre harmonieusement les uns avec les autres. Mais nous avons le devoir de tenir compte à ce courageux précurseur d’un effort qui a si largement profité aux générations suivantes.


IV

Tout autres ont été les destinées de la peinture. C’est qu’ici le sentiment de la couleur prime celui de la forme, et qu’à cet égard peu de races ont été aussi favorisées que les habitans des Flandres. Je ne saurais mieux faire que d’invoquer le témoignage de ce merveilleux petit livre, si gros d’idées, qui s’appelle : Philosophie de l’art dans