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d’expansion. Le tableau de chevalet, cher aux artistes du bas-empire, mais à peu près inconnu dans l’école de Giotto, reprend faveur. Aussi bien le moyen, étant données les habitudes de minutie des peintres flamands, de produire des figures grandeur nature ! Chacune d’elles aurait exigé des années de travail. Le marquis de Laborde a pleinement mis en lumière, dans son remarquable rapport sur l’exposition de 1851, le rôle que les Flamands ont joué dans cette révolution si grosse de conséquences.

L’affranchissement de la peinture vis-à-vis de l’architecture et l’abandon de la peinture monumentale, ne pouvaient manquer de modifier profondément les conditions de l’art dans les Flandres. La rupture une fois consommée, c’en est fait d’une émulation féconde, d’une discipline salutaire. Quel peintre désormais s’occupera de marier les lignes de sa composition aux lignes du monument dans lequel celle-ci doit prendre place, de compléter l’un par l’autre, en un mot, de faire de la décoration ! Ou plutôt la confusion propre à l’architecture ogivale de la dernière période ne se reflète que trop dans la peinture flamande, de même que la clarté et la netteté de l’architecture classique éclatent jusque dans les moindres productions de la peinture italienne. L’ignorance absolue de toute ordonnance, de tout rythme dans les tableaux flamands des maîtres les plus habiles, les Van Eyck naturellement toujours exceptés, n’a point d’autre cause. J’ajouterai une autre considération : tandis que les Italiens se sont avant tout appliqués à perfectionner la perspective linéaire, les Flamands ont surtout cultivé la perspective aérienne, qui semble avoir été créée de toutes pièces par l’effort du génie des Van Eyck. Enfin, dernière différence : en Italie, on trouve des artistes universels, pratiquant ces beaux préceptes de l’enseignement simultané, qui viennent d’être remis en honneur dans notre École des Beaux-Arts ; à la fois architectes, sculpteurs, peintres, orfèvres, voire graveurs ; dans les Flandres, en France, en Allemagne, on n’a affaire, sauf de rares exceptions, qu’à des spécialistes : le peintre ne sait pas modeler, le sculpteur ne sait pas construire, l’architecte ne sait pas peindre.

Si nous envisageons maintenant la conception de leurs tableaux, l’interprétation de la forme humaine, l’expression : partout les lacunes inhérentes au réalisme éclatent au grand jour, sauf chez les Van Eyck, qui, par la hauteur de leur génie, sont absolument hors de pair. Quels que soient la prospérité publique, le luxe des particuliers, la passion pour les plaisirs de toute sorte, je ne sais quels souvenirs d’humilité, quelles traditions de vulgarité ou de laideur continuent à peser sur tous les représentans de cette école. Ce n’est point la Flandre plantureuse et exubérante de Sluter ou du grand Rubens,