c’est un art essentiellement étroit, timoré et bourgeois, aussi concentré en lui-même que l’autre est éclatant et pompeux. Prenez les types : ce sont des figures aux traits irréguliers, à l’expression souffreteuse, aux extrémités difformes, aux mouvemens embarrassés, au costume disgracieux de pauvres pécheurs dans toute la force du terme. Nul parti-pris dans le regard ou dans le maintien, rien qui sente l’homme libre, affranchi de terreurs superstitieuses ; partout le spectacle de la douleur : c’est tout au plus si, de loin en loin, dans quelque madone trônant au milieu d’un paysage, ou dans les saintes de Memling, qui a été incontestablement touché d’un rayon du soleil d’Italie, percent des accens plus doux. Hâtons-nous d’ajouter que cette école, qui trace de l’homme une image si attristante, retrouve d’ailleurs toute sa sérénité vis-à-vis de la nature inanimée : ses paysages, avec leurs arbres chargés de fruits, leurs ruisseaux déroulant au milieu des prairies un long ruban d’azur, leurs rochers aux silhouettes pittoresques, leurs ruines envahies par le lierre, respirent une fraîcheur, un charme, une poésie, auxquels nous n’essaierons pas de nous soustraire.
Cette anomalie n’est pas faite pour nous embarrasser ; elle n’est qu’apparente : vis-à-vis de la nature, aucune tradition ne liait l’artiste du XVe siècle, car la peinture du paysage n’existait pas au moyen âge. Vis-à-vis de l’homme, au contraire, il subit à son insu l’influence du passé, aux yeux duquel les créatures terrestres sont avant tout destinées à souffrir. Le manque de bons modèles fit le reste : les peintres s’habituèrent insensiblement à mettre en lumière ce que les types de leur pays avaient de plus défectueux, sans se soucier d’élaborer un canon, de poursuivre un idéal. À cet égard, on peut rappeler une expérience mémorable dont le héros fut un des souverains les plus éclairés, les plus indépendans du siècle dernier. Lorsque l’empereur Joseph II visita l’église de Saint-Bavon, l’Adam et l’Eve des Van Eyck lui parurent tellement indécens, qu’il donna l’ordre de les faire disparaître. Un contemporain des Boucher et des Pater, scandalisé par l’indécence des Van Eyck, quel signe des temps, mais aussi quelle leçon profonde donnée rétrospectivement aux réalistes du XVe siècle !
Les Van Eyck avaient porté la peinture septentrionale à un degré de splendeur où elle semblait devoir se maintenir longtemps. La décadence, cependant, fut rapide ; elle eut pour principal instrument un peintre à qui l’on ne saurait refuser un très grand talent, Roger van der Weyden. Ce maître s’appliqua, inconsciemment à coup sûr, à dégager et à développer les tendances les plus pernicieuses du réalisme flamand, des tendances qui, sans lui, auraient longtemps pu rester à l’état de germes. Les types qui, grâce à la