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même à celles dont les titulaires étaient tirés au sort. Celui-là semblait abandonné des dieux et devenait comme un étranger dans sa ville.

La cité, ou la famille agrandie, avait son foyer public et toute ligue possédait un foyer central : ceux de Delphes et d’Olympie servaient à la Grèce entière. Les sacrifices, même pour les dieux les plus honorés, ne commençaient qu’après une prière et une libation à l’autel de Vesta. Quand le Mède eut été chassé de la Grèce, la Pythie ordonna d’éteindre, dans tous les prytanées, les feux qu’avait souillés la présence des barbares et de les rallumer avec la flamme prise à Delphes, au foyer national. A Sparte, la coutume était qu’on portât en tête de l’armée « le feu sacré qui ne s’éteint jamais, » afin qu’en toute circonstance, à l’entrée dans le pays ennemi et au moment du combat, le roi pût faire un sacrifice et connaître les signes favorables ou contraires. De même, au départ d’une colonie, les émigrans emportaient du feu pris au foyer public de la métropole, et à ce feu s’allumaient tous ceux des nouveaux autels. Comme dans la maison Vesta présidait au repas de la famille, elle présidait dans le irpuTaveïov au repas des prytanes et des citoyens qui avaient obtenu par décret public l’honneur d’être nourris aux frais de l’état. Chez certains peuples, il existait des tables communes. Ces agapes fraternelles, nécessité des anciens jours, étaient un acte religieux autant que politique, une communion avec les dieux et avec la cité, qui donnait au patriotisme une singulière énergie. Pour les vieux poètes, la cité est l’endroit où se font les sacrifices aux dieux.

Vesta, « la déesse bienfaisante et secourable, » avait un autre privilège : son autel était un asile inviolable. Au moment de l’assaut suprême, Priam se retire près de son foyer : « les armes ! dit Hécube au vieux roi, ne le défendront pas, mais cet autel nous protégera. » Thémistocle, menacé de mort, se réfugie chez son ennemi le roi des Molosses ; de retour dans son palais, Admète trouve le proscrit assis à son foyer : il refuse de le livrer et le sauve. A Rome, les vierges de Vesta délivraient le condamné mené au supplice, si elles le rencontraient par hasard, ce qui veut dire : si la déesse les avait conduites sur le chemin du malheureux.

La société gréco-latine avait une double assise, la pierre du foyer et la pierre du tombeau. Autour de l’une s’était formée la famille sous l’autorité morale et religieuse du père ; autour de l’autre se conservaient le respect des aïeux et le culte héréditaire.

Nos races latines ont gardé le culte des morts. Puisse-t-il durer toujours pour rappeler le lien moral qui doit unir les générations qui s’en vont avec celles qui arrivent, puisqu’il existe entre elles une étroite solidarité pour les fautes commises et pour l’expiation inéluctable ! Mais souvent le mal sort du bien. L’antique et pieuse