actrice, monte lui-même sur les planches et meurt presque en même temps que sa femme, laissant un orphelin à la charité d’autrui ; mais ne fallait-il pas ce mélange de sang anglais, italien, irlandais et français, cette hérédité d’aventure, ce ferment même de perversité pour former le philtre subtil, irrésistible du génie, qui nous a ensorcelés tant de fois ? D’ailleurs, si Poë fut malheureux d’avoir un tel père, il trouva en le perdant le plus tendre des protecteurs, M. Allan, qui lui donna son nom, qui lui fit une enfance follement gâtée et grâce auquel son éducation, commencée en Angleterre, s’acheva dans une université de la Virginie. S’il se fit chasser de l’école militaire, s’il finit par lasser l’affection, la pitié même de son père adoptif, la faute en fut à lui seul, mais nous ne pouvons regretter que ce rare produit des régions méridionales, rêveuses et chevaleresques, ait été transplanté au milieu de l’âpre mouvement intellectuel de New-York ; son entier développement était à ce prix.
Le grand nombre des Américains lancés tout jeunes à travers le monde sans cette grande ressource, une plume appréciée dès le début, ne vont pas pour cela en dérive, comme Poë, nous dira-t-on. Qu’eut-il à se plaindre ? Depuis la publication du Manuscrit découvert dans une bouteille, il trouva pendant dix-sept ans des éditeurs, malgré les infidélités, le travail irrégulier et la facilité déplorable à rompre ses engagemens qui amenait entre eux et lui de continuelles brouilles, de même qu’il se faisait des ennemis innombrables en épanchant le fiel par torrens dans le journalisme qui l’aidait à vivre. Son amertume, son désespoir ne semblent motivés que par l’ennemi qu’il portait en lui-même, son caractère intraitable, la folie qui le poussait vers le jeu, qui à la fin le jeta sur un lit d’hôpital pour y mourir du delirium tremens. Il souffrit néanmoins, il souffrit plus que personne, par fatalité de nature, et il trouva de sombres délices dans cette angoisse exquise qui fut l’aliment nécessaire à son cerveau. Tous les pessimistes pourraient en dire autant. Mais, au milieu des rudes réalités qui rencontraient chez lui une sensitivité plus que féminine, l’idéal dans l’ordre des affections lui tint constante compagnie ; il fut aimé sans mesure, il aima de même. À ce propos, M. Stedman émet une remarque dont le puritanisme seul est capable. Après avoir affirmé que les hommes de lettres et les artistes sont, en dépit du préjugé contraire, a moins livrés aux plaisirs défendus » que les hommes d’affaires et les oisifs du monde, il déclare que Poë ne fit pas exception à cette règle, qu’il ne fut jamais libertin, que la femme resta pour lui l’objet d’un culte respectueux, qu’il n’y a pas une offense contre la chasteté dans toute son œuvre. Personne ne songera cependant, jamais à nommer cette œuvre morale !
Peu importe, nous le répétons, le plus ou moins d’abaissement