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Discerner les hommes et se les attacher est, pour un souverain, la plus précieuse des qualités.

Les craintes s’étaient dissipées au Vatican à la nouvelle de l’arrestation de Garibaldi. On ne s’attendait pas à tant d’énergie de la part du gouvernement italien. Le cardinal Antonelli parlait avec éloge, presque avec admiration[1] de M. Rattazzi. Il disait qu’il fallait du courage pour affronter le poignard des carbonari, et le pape, qui n’était pas toujours clément pour l’empereur, faisait remonter à son intervention l’acte de vigueur qui lui rendait la sécurité. Déjà l’on croyait tout danger écarté lorsqu’on apprit que Garibaldi était élargi et reconduit sans garanties à l’île de Caprera.

Le doute n’était plus possible : le gouvernement italien était ou impuissant ou complice. Il ne restait plus qu’à se défendre. L’empereur avait promis maintes fois au pape de ne jamais l’abandonner. « J’ai tout un paquet de lettres, disait Pie IX, rempli de ses promesses ; » mais rien n’indiquait qu’il eût une volonté assez forte pour affronter un conflit avec l’Italie et s’exposer à des complications avec l’Allemagne. Ni Mgr Berardi ni le corps diplomatique accrédité à Rome ne croyaient à une intervention française. Ils savaient par leurs correspondances de Paris que l’empereur était tiraillé en tous sens ; ils craignaient que l’Italie, cette fois encore, ne sortît victorieuse de la lutte qui s’était engagée autour du souverain ; ils étaient convaincus que la France ne recommencerait pas une seconde expédition dans les états pontificaux. Notre chargé d’affaires ne donnait pas moins comme certaine l’assistance du gouvernement impérial ; il remontait les esprits et encourageait la défense. Le pape n’avait pas de défaillances, il éconduisait les cardinaux qui lui parlaient de départ. « Je défendrai mon pouvoir temporel, disait Pie IX ; bien qu’il ne soit plus aujourd’hui au milieu de l’Europe qu’une dilution homéopathique. » Il affectionnait cette image ; souvent elle revenait dans ses conversations. Ses mots étaient pittoresques. C’est ainsi qu’à propos de la trop rapide unification de l’Italie, il disait un jour à M. Soulange-Bodin, notre consul général à Naples : « Lorsque la chatte met bas trop tôt, ses petits sont aveugles. »

Le saint-père manifestait l’intention de se retirer dans le château Saint-Ange, qu’il faisait approvisionner ; il voulait se défendre jusqu’à la dernière extrémité, il aspirait au martyre. Mais tous ses cardinaux ne partageaient pas son exaltation. Bien des âmes étaient troublées. Plus d’un prélat, effrayé de la perspective d’un siège,

  1. Dépêche du comte Armand… « A la manière dont le cardinal Antonelli parle des poignards des carbonari, on serait tenté de croire qu’il ressent de l’admiration pour le courage que vient de manifester M. Rattazzi. »