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gouvernement cela, c’est du maquignonnage, et jamais avant vous aucun homme d’état ayant le souci de sa renommée, jamais ni M. Guizot, dont on n’a pas craint d’invoquer la haute autorité, ni M. Jules Simon, qu’on a essayé de mettre en contradiction avec lui-même, et qui s’en est vengé par de si victorieuses répliques, ni M. Duruy, puisqu’il me faut le nommer, n’eussent souscrit à cette énormité d’imposer à trente-six millions de Français, la plupart catholiques de sentimens et d’habitudes au moins, beaucoup monarchistes encore, un enseignement qui blesse toutes leurs croyances et toutes leurs affections[1].


V

Mais ce n’était pas tout encore : après avoir laïcisé l’enseignement, il restait à laïciser le personnel ; après avoir biffé jusqu’au nom de Dieu des programmes, il fallait, pour en finir avec lui, chasser de l’école tout ce qui pouvait en rappeler le souvenir. De là le projet de loi que vient d’adopter le sénat, après une discussion de plus de deux mois, et qui n’attend plus qu’un dernier vote de la chambre pour être acquis.

Traiter les frères de la doctrine chrétienne comme de simples jésuites, l’entreprise, il y a trois ou quatre ans seulement, n’eût pas paru possible, et M. Jules Ferry lui-même, au début de ses opérations, en repoussait hautement l’idée. Contre les jésuites il y avait un long préjugé, de vieilles rancunes et de pénibles souvenirs entretenus par toute une littérature faite de fiel et d’ignorance. Mais contre ces humbles et contre ces petits quel grief particuler ? En fait d’éducation, ils n’avaient pas seulement une longue et glorieuse possession d’état, ils s’étaient toujours montrés animés de l’esprit le plus libéral et le plus sagement novateur. Les premières écoles normales qu’ait eues la France, c’est à Jean-Baptiste La Salle qu’elle les doit[2]. Les premiers essais d’enseignement primaire supérieur et d’enseignement secondaire spécial ou technique, c’est

  1. Sans doute M. Guizot, dans les dernières années de sa vie, s’était départi de l’opposition qu’il avait si longtemps faite au principe de l’enseignement obligatoire. « Il peut arriver, écrivait-il en 1872, que l’état social et l’état des esprits rende l’obligation légale en fait d’instruction primaire, légitime, salutaire et nécessaire. » Mais, ajoutait-il aussitôt, il y faut « des garanties efficaces pour le maintien de l’autorité paternelle et de la liberté de conscience. » — M. Jules Simon a toujours pensé de même, et lorsque en 1872 il saisit l’assemblée nationale d’un projet de loi sur l’obligation, je ne sache pas qu’il en ait exclu l’enseignement religieux.
  2. Dès 1684, il avait fondé à Reims, sous le nom de séminaire de maîtres d’écoles, une maison d’éducation destinée à former des sujets pour les campagnes environnantes. Quelques années plus tard, appelé à Paris, il y crée dans le même dessein et sur le même modèle le séminaire urbain de la rue de Lourcine.