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exprimé ce double aspect de leur livret, ce mélange de drame intime et de mœurs nationales, cette relation, toujours intéressante, de quelques êtres, choisis dans une époque et dans un pays, avec ce pays et cette époque. Ils n’ont pas suffisamment rattaché les personnages à leur temps, à leur patrie, à leur milieu. Saint-Mégrin manque un peu de caractère et de couleur. Ainsi le second acte tout entier, qui se passe au Louvre, nous représente mal la cour de France à la fin du XVIe siècle. Il y est question de la Ligue, des projets et des ambitions du duc de Guise, des intrigues et des querelles du palais, sans qu’une seule fois la musique nous donne l’impression vraie, historique, ni des événemens, ni du théâtre où ils s’accomplissent. Ce qui devrait être un épisode intéressant ne semble qu’un hors-d’œuvre, et le cadre, au lieu de le relever, affadit le ton du tableau.

Plus d’un détail cependant est agréable dans ces dehors de l’œuvre : le premier entracte, les ballets, ingénieusement archaïques, sont finement harmonisés ; l’instrumentation de l’entr’acte est particulièrement distinguée. Il faut noter encore le premier chœur du quatrième acte l’élégant début de la chanson : Femmes, aimez pour qu’on vous aime, et surtout une petite entrée de page qui n’est qu’un détail musical et scénique, mais un détail charmant.

Mal ou bien venus, incolores ou pittoresques, les accessoires étouffent trop la partie principale, le corps même du drame. La faute en est-elle aux librettistes ? en est-elle aux musiciens ? Je ne sais ; mais Saint-Mégrin laisse l’impression d’une œuvre un peu étroite, à laquelle manquent l’ampleur et le développement. La duchesse de Guise, son mari, son amant ne forcent pas notre intérêt, ne s’imposent pas à notre souvenir : leur caractère n’est pas accusé ; leur personnalité reste incertaine et flottante. Ils sont rares aujourd’hui, les compositeurs capables de donner la véritable vie à leur héros, et l’on ne doit pas s’étonner que des jeunes gens, s’essayant pour la première fois au théâtre, n’aient pas trouvé d’emblée des types musicaux. Rien n’est plus difficile pour les musiciens dramatiques que d’être, au sens grec du mot des poètes, des créateurs. Mais comme ils sont des arrangeurs habiles ! Avec quelle variété de timbres MM. Hillemacher savent orchestrer ! Avec quelle souplesse ils nouent et dénouent l’écheveau de leurs harmonies ! En vérité, si nous souhaitons chez eux plus de spontanéité dans l’inspiration, plus d’abandon à l’idée claire et simple, nous ne saurions leur demander plus d’expérience technique ; à défaut du secret divin de leur art, ils en savent tous les secrets humains.

Ce n’est pas à dire que Saint-Mégrin n’ait jamais d’autre mérite que celui du procédé. On peut, au cours de l’ouvrage, signaler mainte page qui justifie un plus haut éloge. Le premier acte est celui que nous aimons le mieux. Saint-Mégrin et deux de ses amis viennent consulter