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C’est le libertinage placé sous l’invocation du dieu de Béranger, la grossièreté rétablie dans les droits dont la civilisation l’avait dépossédée, l’homme rendu au culte de Priape. Et la conclusion est : — d’Être aimé, qu’il n’y a qu’une chose de désirable au monde, l’amour de Javotte ou de Goton, à défaut de celui de Chloé ; de Sur la lisière d’un bois, que sous le nom d’amour il ne faut entendre que le plaisir avec ses réalités solides ; enfin, de la Forêt mouillée, qu’entre Platon et Casanova, toute la différence ne tient qu’à un jupon habilement relevé sur la cheville d’une lingère de la rue aux Ours ou d’une actrice de Bobino. C’était bien la peine d’avoir versé tant de Pleurs dans la nuit, et de s’appeler Hugo, pour finir comme « le chantre de Lisette, » sans en avoir d’ailleurs jamais en la gaîté.

Cette façon de traiter l’amour, assez indélicate, et médiocrement poétique, a, si je ne me trompe, quelque chose de plus déplaisant encore chez un vieillard. Il nous devient difficile, en effet, de respecter sincèrement celui qui ne se respecte pas lui-même, et je crains que de pareils aveux, qu’il n’était pas forcé de faire, n’aient quelque chose de fâcheux pour la mémoire du poète. Mais, en revanche, au point de vue de la critique, ils éclairent d’un jour très vif le vrai caractère d’un homme, et ils m’expliquent assez bien ici ce manque de vraie délicatesse et de goût qui ne s’expliquerait guère autrement dans l’œuvre de Victor Hugo. Avant ces aveux, comme avant les Chansons des rues et des bois, on ne voyait pas bien d’où procédait la grossièreté dont il y a chez lui tant d’exemples, cette rudesse et cette brutalité de manières qu’il ne pouvait tenir ni de sa naissance, ni de son éducation, ni du monde au milieu duquel il avait toujours vécu. Nous le savons maintenant : c’était ce que l’on appelle une idiosyncrasie, l’effet en lui de son tempérament d’athlète, une opposition de sa vraie nature avec l’attitude qu’il avait d’abord prise et gardée si longtemps. L’exil, cet exil volontaire, ou volontairement prolongé ; l’exil, dont il tira le parti que l’on sait ; l’exil, sans lequel il ne fût jamais devenu ce que nous l’avons vu dans ses dernières années, mais, comme l’a dit je ne sais plus qui, le Fontanes du second empire ; l’exil, en le délivrant de toutes les contraintes qu’il avait impatiemment supportées, le rendit lui-même. Sur son rocher de Guernesey, n’ayant plus rien à ménager, il se montra tel qu’il était, moins « fatal » et plus « rabelaisien » qu’on ne le pouvait croire. En ce sens, le Théâtre en liberté, comme les Chansons des rues et des bois, vaut à bien des égards une longue confession. Parmi beaucoup d’étranges visions ce « voyant » ne laissa pas d’en avoir d’assez matérielles, et il semble que ce ne fût point celles ou son œil, quoique « empli de brume, » s’arrêtât d’ordinaire avec le moins de complaisance. Plusieurs grands hommes de notre temps ont fini de cette manière, plus jeunes en quelque sorte à soixante-dix ans qu’à vingt-cinq, et comme inconsolables, alors