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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/235

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une comique assurance : « C’est nous qui sommes le gouvernement ! » Le fait est que, s’ils ne sont pas le gouvernement, ils sont au moins un pouvoir singulier, original, qui a la prétention de se mêler de tout, de disposer de tout, et qui se moque parfaitement de la loi. Hôpitaux, enseignement, bibliothèques, théâtres, industries, tramways, cet étrange conseil gouverne tout, ou plutôt bouleverse tout, sans s’informer s’il reste dans son rôle municipal, si, avec ses révolutions scolaires, il n’usurpe pas les droits de l’état, si, avec ses laïcisations à outrance, il n’impose pas à la ville des charges démesurées au détriment des malades et des pauvres. La politique lui est interdite sans doute, comme elle est interdite à tous les conseils municipaux ; n’importe, il ne s’arrête pas à cette limite vulgaire de la légalité. Qu’il s’agisse d’une grève, qui n’intéresse certainement pas la population parisienne, il se hâte de voter des subsides et des encouragemens aux grévistes ; il est le protecteur de ceux qui luttent contre la féodalité financière, contre le capital ! Qu’il s’agisse d’une élection législative, il délibère aussitôt, il somme impérieusement les ministres de mettre en liberté le candidat socialiste qui s’est fait condamner. Il a surtout l’ambition d’être l’unique pouvoir à Paris, et, pour y arriver, il a découvert un moyen ingénieux, c’est d’entourer M. le préfet de la Seine, M. le préfet de police, de commissions destinées à se substituer par degrés à l’administration régulière. L’autre jour, il nommait une commission auprès du laboratoire municipal chargé de surveiller les fraudes du commerce des vins, et il ne cachait pas son intention de nommer d’autres commissions pour tous les services.

Que fait cependant le gouvernement ? Le gouvernement ne dit rien. De temps à autre, il est vrai, il annule sans bruit quelque vote d’une trop flagrante illégalité. Le plus souvent il laisse faire, il craint les querelles avec cette tapageuse puissance, qu’il aime mieux ménager et flatter. Il va au-devant des désirs de l’assemblée de l’Hôtel de Ville ; il crée sur sa demande une chaire en Sorbonne pour l’enseignement de l’histoire de la révolution française, — qui probablement n’était pas connue jusqu’ici, — et récemment il laissait voter au Palais-Bourbon une loi qui accorde au conseil parisien la publicité de ses séances. Eh bien ! qu’on suive ce système, et avant peu, avec son budget, avec sa tribune, avec sa mainmise sur les services publics, sur la police, avec son arrogance, l’assemblée de l’Hôtel de Ville sera tout. Le mot de l’édile se trouvera réalisé : le conseil municipal sera le vrai gouvernement, — l’autre, celui de l’Elysée, du Palais-Bourbon et du Luxembourg, ne sera rien. Ainsi tout est confondu et compromis par la faiblesse de ministres qui croient désarmer le radicalisme, tantôt en cédant au conseil municipal de Paris, tantôt en prenant un rôle équivoque dans les grèves, un jour en humiliant la magistrature devant un condamné, un autre jour en se prêtant aux guerres religieuses. Et quand on