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famille ou défendre le droit monarchique, il n’entendait nullement sacrifier ses intérêts[1].

Il lui convenait sans doute que la France ne fût pas affaiblie au point d’ôter tout frein aux vues despotiques de l’Angleterre. Mais si, dans ce dessein, il jugeait utile de s’opposer à une dissolution totale de la monarchie française, il considérait comme peu expédient et même comme dangereux de pousser plus loin les choses. Le concert, pensait-il, « ne devra jamais aboutir à rétablir la prépondérance politique de la France même. « Il ne doit viser « qu’à procurer au roi très chrétien, outre le degré convenable de sûreté, de respect et de lustre, telle mesure d’autorité et d’influence qui sauve la France de l’anarchie et d’un relâchement de subordination intolérable. » Léopold attendait de la Russie qu’elle partagerait son opinion sur tous ces objets. L’Espagne inclinerait vraisemblablement vers les mêmes sentimens, mitigés par les mêmes considérations. Cette cour n’a point, se disait-il, « le désir de voir la France reprendre, avec sa prospérité précédente, l’influence et le ton prépondérant que la nature avait destinés à la puissance la mieux située et relativement la plus grande de toute l’Europe. » L’Angleterre sera certainement mal disposée : bien qu’elle redoute pour sa constitution, pour ses colonies, pour l’Irlande, en particulier, les effets de la révolution française, elle souhaite « la perpétuité de l’état de confusion interne et de nullité externe où se trouve sa rivale. » Léopold espérait, au contraire, le concours le plus actif de Frédéric-Guillaume. « L’anéantissement du crédit politique de la France, disait-on à Vienne, est opposé aux intérêts naturels de la Prusse ; elle consentira et contribuera même volontiers à la contre-révolution la plus complète. » C’étaient d’ingénieuses spéculations ; mais la tempête qui montait à l’horizon soufflait avec trop de violence pour qu’il fût possible de louvoyer longtemps ainsi le long des côtes, et la crise, selon le mot du vieux Kaunitz, « déconcerta les soins prudens de l’empereur. »

Léopold apprit, coup sur coup, le 1er juillet, à Padoue, le départ et l’arrestation de la famille royale. Le lendemain, des courriers de Genève et de Turin rapportaient que le roi, sauvé par Bouillé, avait gagné Metz et se rendait à Luxembourg. La déclaration de Louis XVI aux Français était jointe à ce message. « Par la fuite du roi, par la déclaration qu’il a publiée et la sûreté de la famille royale à Luxembourg, tout a changé de face, » dit Léopold. Cet Autrichien calculateur s’abandonna un instant à l’émotion. Il y eut dans sa politique comme

  1. Kaunitz à L. de Cobenzl, à Pétersbourg, 8 juillet 1791. Vivenot, I, p. 190 ; — Kaunitz à Mercy, 22 juin, id., 539.