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demeurât et appartînt pour en faire et disposer ainsi qu’il aviserait, et qu’ils lui en fissent cession, transport et délaissement, sans aucune garantie que ce fût. » La maison avait coûté 8,500 livres ; si donc, comme il est probable, cette somme avait été fournie tout entière par la dot de Catherine Fleurette, c’est 3,500 livres que gagnait Jean Poquelin. Harpagon ne s’y fût pas pris autrement s’il eût placé sa fille Élise dans un « bon cul de couvent. »

Il ne restait plus à Poquelin, pour être libre de toute préoccupation de famille, qu’à marier son fils. Tel que nous connaissons le bonhomme, il devait rechercher avant tout les avantages solides. La belle-fille qu’il trouva, Marie Maillard, réunissait tout ce que peut souhaiter un beau-père à l’esprit positif : elle était orpheline, mineure, et sa dot, bien nette en argent comptant ou solidement établie en bonnes créances, s’élevait à 11,500 livres. Ce n’était rien moins, à vrai dire, qu’une a femme-docteur : » elle déclare dans le contrat de mariage ne savoir écrire ni signer ; mais Jean Poquelin devait être de ceux qui pensent qu’une femme « en sait toujours assez. » Malgré cette ignorance, Marie Maillard appartenait à une très bonne famille bourgeoise : cousine d’un tapissier, elle a pour tuteur un commis au greffe de la chambre des comptes, et elle est assistée, comme amis, d’un prélat, Charles Bourlon, évêque de Césarée et coadjuteur de Soissons, d’un conseiller au parlement, d’un conseiller-maître en la chambre des comptes, d’un conseiller-greffier en chef au Châtelet ; toutes gens qui formaient pour son mari un riche appoint de clientèle. Quelle joie pour le vieux tapissier ! Si son fils aîné avait trompé ses espérances, comme le second le dédommageait ! Il voulut lui marquer sa joie par un beau cadeau de noces. Jusqu’alors, il n’avait pas usé du renoncement de Molière à la survivance paternelle comme tapissier du roi, espérant peut-être qu’après un temps de misère et d’erreurs, le fils aîné, l’enfant prodigue, lui reviendrait repentant et corrigé. Aussitôt après le mariage de Jean, il le faisait pourvoir de cette survivance. Du reste, pour s’occuper et se garder de l’ennui, il se réservait de remplir les fonctions de son emploi tant qu’il en aurait la force. Nous le voyons, en effet, le 24 janvier 1658, formant avec ses confrères, les trois autres tapissiers de la cour, un contrat d’association de quatre années pour la fourniture des « marchandises et ouvrages de leur vacation, » et exercer jusqu’à sa mort : en 1662, en effet, un état du trésor porte une somme de 300 livres attribuée « aux nommés Poquelin et de Nauroy, tapissiers du roi ; » en 1604, il figure encore, avec le même Nauroy, sur un état des Menus-Plaisirs.

On croirait que, par cette suite d’habiles opérations, Jean Poquelin se serait ménagé, avec une aisance honnête, la paix et