Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
III. — LES INQUIÉTUDES DE LA COUR DE ROME.

Le comte Armand avait communiqué en audience au saint-père la dépêche du 17, datée de Saint-Cloud, laissant espérer à la cour de Rome l’intervention de la France. Le pape avait accueilli la communication de notre chargé d’affaires avec satisfaction, mais sans manifester de joie ni d’étonnement, comme un fait sur lequel il avait plus d’une raison de compter. Il semblait qu’il existât entre le pape et l’empereur quelque lien mystérieux qui remontait loin dans leurs souvenirs. Ils avaient, en effet, dans leurs jeunes années, poursuivi la même pensée ; ils avaient rêvé tous deux d’affranchir l’Italie de la domination autrichienne : l’un, dans le mystère et le recueillement des cathédrales, l’autre, dans les sombres retraites des carbonari. L’Italie leur avait porté bonheur : le prêtre avait ceint la tiare, et le carbonaro la couronne impériale. Pie IX était évêque de Spoletto, en 1831, lors de l’insurrection des états romains et dans de dramatiques circonstances, il s’était dévoué au salut de Louis-Napoléon. Peut-être Pie IX se rappelait-il cet épisode de ses jeunes années et trouvait-il naturel qu’en le voyant en péril, Napoléon III n’oubliât pas l’évêque de Spoletto. Unis jadis dans les mêmes espérances, ils se voyaient à la fin de leurs règnes, si glorieusement commencés, divisés, déçus dans leurs illusions, atteints dans leur puissance :

« Je suis entre les mains de Dieu, disait le pape, prêt à accepter tous les décrets de la Providence. Ma soumission n’est pas du fatalisme musulman, comme on l’a prétendu un jour ; la résignation chrétienne n’exclut pas l’initiative. Je me préoccupe des moyens de prolonger l’héroïque défense de mon armée ; je songe même à l’équilibre de mes finances si lourdement grevées par les dépenses militaires. Les prisonniers que nous avons faits ajoutent encore aux charges du trésor public. Nous les traitons avec bonté et libéralité, et, en attendant que nous prenions un parti, je leur lais suivre une retraite spirituelle. Ne faut-il pas que le souverain-pontife s’occupe du salut des âmes ? Je les ai fait trier en deux catégories, les incrédules et les égarés. J’espère en ramener quelques-uns à la religion, ce sera autant de conquis sur l’armée du mal[1]. »

La quiétude de la cour pontificale fut de courte durée ; le 22 octobre, elle apprenait que l’escadre, au moment d’appareiller pour Civita-Vecchia, avait reçu contre-ordre. En même temps, un mouvement éclatait à Rome. Des insurgés tentaient de s’emparer du Capitole et

  1. Dépêche du comte Armand.