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faisaient sauter la caserne des zouaves pontificaux, tandis que des bandes commandées par Cairoli, un frère du député, descendaient le Tibre et arrivaient jusqu’à la Porta-del-Popolo. L’armée pontificale, tenue sans cesse en haleine, était exténuée de fatigues ; le proministre des armes prévoyait le moment où, assaillie de tous côtés, elle serait à bout de forces. La situation devenait de plus en plus périlleuse : « Si le gouvernement de l’empereur a réellement à cœur de sauver le saint-siège, il n’y a pas un moment à perdre, » disait le cardinal Antonelli à notre chargé d’affaires.

Le comte Armand sollicitait des instructions qu’il n’obtenait pas. Les fils télégraphiques étaient coupés, il en était réduit à envoyer ses dépêches et celles du baron de Hübner, ministre d’Autriche, par des avisos à Bastia. Il n’en persistait pas moins à affirmer l’intervention de la France.

Toutes les rancunes que nos services avaient accumulées dans les âmes italiennes éclataient avec fracas : les passions débordaient dans toutes les villes. La révolution s’en donnait à cœur-joie. L’Italie était sans gouvernement ; le ministère de l’intérieur était devenu le foyer de l’insurrection, les préfets ne recevaient plus d’ordres ; des soldats de l’armée régulière passaient dans les rangs des volontaires, on le constatait à Rome par les livrets trouvés sur les prisonniers. Le colonel Schmitz et le commandant Parmentier, notre attaché militaire auprès du saint-siège, adressaient des dépêches alarmantes à Paris. Le général Prudon télégraphiait au maréchal Niel : « L’armée romaine pourra résister pendant quelque temps à Civita-Vecchia à une attaque avec artillerie, mais non dans Rome, sur la rive gauche. Depuis les nouvelles de non-intervention, les bandes augmentent aux frontières, beaucoup sont munies d’artillerie. Des tentatives d’insurrection, organisées par des étrangers, provoquent de l’agitation dans la ville. La petite armée pontificale est épuisée ; le gouvernement bientôt n’aura plus de forces suffisantes pour se défendre. Cette situation ne saurait se prolonger, il y a urgence d’y pourvoir. »

Le tableau que traçait le comte Armand n’était pas moins sombre. Chaque soir, des bombes Orsini éclataient à Rome ; la police était sur les dents, elle saisissait des armes et des munitions, elle arrêtait des bandits prêts à tous les forfaits, cachés au Trastevere. Le corps de Nicotera campait à 8 kilomètres de Rome ; les garibaldiens venaient de s’emparer de Monte-Rotondo, ils s’avançaient à marche précipitée au nombre de 6,000, et l’on n’avait que des forces insignifiantes à leur opposer : « J’encourage la résistance, télégraphiait notre chargé d’affaires, je m’efforce de faire accepter l’idée d’un siège, mais, en dépit de mes exhortations, l’inquiétude devient galopante. Tout le monde s’attend à voir l’armée royale passer la frontière. »