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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/550

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n’était pas logiquement soutenable; d’un autre côté, il semblait contraire aux principes de rendre, en aucun cas, la cour de cassation juge de fond dans une affaire quelconque. C’était un sujet sur lequel j’avais dès longtemps réfléchi. Mais le résultat de mes réflexions ayant été contraire à ces mêmes principes, sur lesquels se fonde notre système de cassation, et mes conclusions tendant, en cette matière, à bien plus qu’à la question incidemment engagée, je me trouvais placé, si j’intervenais, entre la témérité et la timidité : la témérité si j’allais au bout de ma pensée, la timidité si je m’arrêtais à mi-route. Je préférai laisser aller les choses sans m’en mêler : sinere mundum ire sicut it, comme dit Panurge, en me réservant de traiter à fond la question dans notre Revue française. J’y fis insérer un petit traité ex professo sous ce titre : de l’Interprétation des lois, traité que je prends la liberté de recommander aux amateurs, s’il en est encore en fait d’organisation judiciaire; il s’en rencontrait de mon temps.

La session fut close le 18 août.

Ainsi que je l’ai indiqué plus haut, le nouveau ministère s’y était fait grand honneur, aux yeux du moins des gens sensés, des vrais connaisseurs. Placé dans une position très délicate entre le roi, qui ne guettait qu’une bonne occasion de s’en défaire, et la chambre des députés, qui n’avait de parti-pris sur rien, peu soutenu par le centre droit des deux chambres, qui le trouvait trop enclin de notre côté, plus médiocrement encore par nous, qui n’y prenions pas confiance, sa conduite, en toute occasion ou à peu près, avait été prudente et ferme, hardie et mesurée ; il était sorti à son avantage de toutes les difficultés, il ne s’était impatienté ni du décousu de nos allures ni de la multiplicité de nos exigences ; nous avions, avec lui, gagné du terrain, et nous en eussions gagné bien plus encore si nous avions agi de concert. Il dépendait de nous de réparer la faute que nous avions faite en 1818. Ce pouvait être, à notre grand profit, un nouveau ministère Richelieu, j’entends le premier en date, celui du bon temps, un ministère libéral par position et modéré par caractère, un ministère soutenu par nous et supporté par le roi.

On verra bientôt ce qu’il en advint.


III.

Avant la fin de la session, je rejoignis ma famille à Broglie et j’y passai le reste de l’année, les yeux fixés sur les événemens du dehors, qui ne manquaient pas d’intérêt et d’importance.

Au premier rang, il fallait placer la guerre entre la Russie et la Porte, guerre dont l’origine, sinon le motif, remontait plus haut que les troubles de la Grèce, qui n’en furent que le prétexte. Il était bien