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ou des ouvrages de dévotion. Suivant la tradition léguée à l’Espagne par les Maures, il tenait sa femme et ses filles étroitement recluses et écartait de sa maison les visites d’hommes. Toutefois, il admettait que les femmes eussent quelque instruction, ce qui était presque une rareté, j’allais dire presque une faiblesse alors ; l’un des derniers couvens fondés par sa fille Thérèse faillit échouer parce que, sur neuf postulantes, dont quatre filles nobles, il n’y en avait qu’une « qui sût bien lire. »

Les écrits des contemporains nous font entrevoir Alphonse de Cepeda dans sa grande bibliothèque, où les auteurs latins, les pères de l’église, les poèmes religieux ou didactiques tiennent la plus grande place. Dans un coin dorment, ou semblent dormir, les œuvres profanes : romans de chevalerie, cancioneros galans et subtils, romanceros héroïques. La maison est entourée de grands jardins qui la rendent silencieuse. Le maître du logis lit. Il a l’allure fière, l’expression loyale et sévère de ces vieux gentilshommes castillans que les peintres espagnols nous montrent en pourpoint sombre et collerette blanche : corps maigres, âmes fidèles jusqu’à l’entêtement, très bons et très cruels, selon que Dieu, le roi ou l’honneur le commande. De temps à autre, Alphonse de Cepeda fait venir un de ses enfans. Il lui remet un volume, choisi parmi les auteurs graves, se fait rendre compte de la lecture précédente, éclaircit et redresse les idées et sourit aux réflexions naïves d’Antoine, le futur moine, ou aux saillies de cette mauvaise tête de Pierre, qui donnera tant d’embarras aux siens. Cette grande figure froide et digne, avec sa parfaite pureté de mœurs et sa véracité scrupuleuse, cet homme inflexible, mais que « nul, écrit sa fille, n’entendit jamais ni jurer ni médire, » était tout à fait le chef de famille qu’il fallait pour brider et diriger une nichée de douze petits Avilais, c’est-à-dire de douze créatures indépendantes entre toutes.

Il avait eu deux fils et une fille d’un premier lit. Il eut sept fils et deux filles de Beatrix de Ahumada, la mère de Thérèse.

Beatrix est une délicieuse figure qui illumine la vieille demeure seigneuriale des Cepeda. Mariée à quinze ans, morte d’épuisement à trente-trois, d’une beauté rare et exquise, d’une santé délicate, elle avait le caractère modeste et doux, le cœur tendre, l’imagination vive et curieuse, l’esprit orné de toutes les grâces et de toutes les séductions. Son état maladif l’avait contrainte à remettre le gouvernement domestique à sa belle-fille. Toute jeune et dans la fleur de sa merveilleuse beauté, elle avait renoncé à la parure et s’était habillée en vieille. Elle vivait sévèrement, en apparence tristement, dans une retraite indolente d’infirme. Cette chambre où la souffrance avait établi sa demeure et où la mort planait était cependant,