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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/601

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n’est monotone qu’aux yeux inattentifs. C’est aussi par la science intime des formes choisies que M. Bouguereau, plus attaché que M. Henner aux ordonnances traditionnelles, continue à donner un intérêt durable à ses compositions mythologiques, dont les grâces un peu fades sont souvent relevées, avec beaucoup d’agrément, par la rare souplesse d’une exécution singulièrement aisée, brillante et égale. La Vénus taquinée par un essaim d’Amours, qu’il appelle le Printemps, ne vise ni à la pureté attique, ni à l’ampleur romaine. C’est une Vénus très apprivoisée et très modernisée, mais elle plaira avec raison à la société aimable pour laquelle elle est faite et qui cherche dans les œuvres d’art la distraction plus que l’exaltation, le charme plus que la force, la grâce des douces redites plus que la hardiesse des inquiétantes nouveautés. M. Mercié tourne aux idées de M. Bouguereau. Ce grand artiste, qui est un lion quand il sculpte, aime à se faire agneau quand il peint, prouvant ainsi la souplesse de son imagination. Le petit Amour trempant une fleur dans le Sang de Vénus, blessée au pied, forme avec sa mère un groupe charmant; l’ordonnance seule y révèle l’excellent sculpteur, tandis que l’exécution, délicate et raffinée, marque une habileté de peintre presque trop recherchée.

Deux études de nu ont surtout frappé les yeux. L’une est celle de M. Raphaël Collin, une jeune femme, couchée sur le dos, dans une prairie d’un vert tendre, qui porte le nom de Floréal. Les formes sont jeunes et sobres ; le modelé, dans une lumière douce, est conduit sur tout le corps avec une exquise douceur ; l’expression de la tête est gentille, douce et gaie. L’artiste avisé s’est tenu à bonne distance entre l’amollissement facile et malsain des reliefs et des couleurs, qui tente parfois les décorateurs, et le trompe-l’œil violent et brutal que recherchent les réalistes. s’il penche et s’il peut tomber, c’est d’ailleurs du côté des décorateurs ; la brume grise le menace, mais, pour le moment, il n’est pas encore enveloppé. La seconde femme nue, l’Éveil, est due à M. Carolus Duran. Celui-ci est un coloriste primesautier, d’un tempérament franc et robuste, inégal dans ses productions, mais que cette maudite brume, au moins, n’a jamais approchée. C’est plaisir de retrouver ce peintre de race, toujours jeune dans ses bonnes heures, entonnant encore d’une voix hardie, au milieu de tant de peintures éteintes, la chanson joyeuse des couleurs vives, fières et retentissantes. La beauté blanche, aux cheveux ébouriffés, qu’il étend sur un lit défait, accoudée sur son oreiller, n’y méditant guère, n’est ni déesse, ni grande dame. On peut rêver des formes plus fines, des reliefs plus purs, des modelés plus suivis, mais comment n’être pas pris d’abord par cet accord triomphant des carnations solides et rosées, des boucles