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luxuriantes et blondes, des draperies et des coussins dont les blancheurs et les rougeurs résonnent avec un éclat voluptueux autour de ce jeune corps? c’est bien le cas de reconnaître que la vie est la qualité essentielle dans une œuvre d’art ; car, lorsque la vie y apparaît par un côté quelconque, même imparfaite, même superficielle même toute sensuelle, on est bien prêt de tout pardonner. Le Portrait de Miss***, toute jeune fille, d’une galbe fin et pur, chastement serrée dans le fourreau d’une robe étroite, rappelant par l’attitude correcte et l’expression douce certaines figures du premier empire, est exécutée par M. Carolus Duran dans une gamme rose d’une sonorité délicieuse, avec la même prestesse et avec plus de distinction. Aux deux études de nu très brillantes de MM. Collin et Carolus Duran on peut en joindre quelques autres, d’un aspect plus modeste ou d’une facture moins personnelle, mais qui témoignent d’un goût sérieux pour les études nécessaires à tout peintre d’histoire. Les mieux conduites, dans cet ordre d’idées, sont celles de M. Loeve-Marchand, qui ne sait pas encore faire un tableau, mais qui exécute à merveille un morceau de nu. On trouve aussi une grande conscience, sous ce rapport, dans les Sirènes de M. Léon Berthault, les Hiérodules de M. Rosset-Granger, la Nourmahal et la Madeleine de M. Prouvé, le Surpris par la marée de M. Maxime Faivre, et chez quelques autres jeunes gens qui semblent se préparer à de belles entreprises. La Vénus de M. Berton, maudite par les saints du désert, décrivant, dans sa chute, comme une étoile blanche, une parabole dans l’abîme de la nuit, est une figure modelée avec un certain sentiment prudhonien ; elle montre chez l’auteur un réel progrès et l’étude intelligente des maîtres. On a remarqué aussi les tentatives faites par quelques peintres anglais ou américains pour acclimater résolument les figures nues dans les paysages réels des climats septentrionaux. Le Dolce far-niente et les Dryades et Faunes de M. Robert Browing, le fils de l’illustre poète, et l’Arcadie, de M. Harrison, se prêtent à de curieuses observations. Tous les deux analysent les formes humaines avec cette perspicacité dans la précision individuelle du détail et cette indifférence pour la régularité plastique qui caractérisent la race anglo-saxonne; aussi leurs figures prennent-elles souvent des attitudes plus imprévues qu’agréables et plus vraies que vraisemblables. Les coins de bois verts où M. Browing assied ses nymphes trapues, tout remplis de sources et de mousses, sont peut-être d’une humidité dangereuse. L’Arcadie de M. Harrison, une Arcadie de Normandie, tout au plus, n’est pas moins aquatique. C’est le long d’une rivière, dans des herbes à peine séchées par un pâle soleil, sous des branchages de saules et de pommiers, que se promènent ses