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Qu’on relise les plaidoyers de Berryer, surtout ses plaidoyers politiques ; on y trouve, à chaque page, l’écho des manifestations dont les voûtes du Palais ont si longtemps retenti : Bravos ! Applaudissemens prolongés ! Applaudissement frénétiques! Lorsque, relevant sa tête puissante et large, alliant à la voix la plus pénétrante le geste le plus ample et le plus expressif qui fut jamais, il montrait la place de Charles X marquée au milieu de ces sépultures royales, au milieu desquelles on lit « le grand ! le sage ! le bon ! le père du peuple ! » tandis que ses cendres descendaient dans les caveaux du couvent des franciscains de Goritz, c’était une explosion d’enthousiasme qu’on ne peut décrire et tout le monde était éperdu. Dans l’affaire Armand, où l’auditoire prenait ouvertement parti pour l’accusé, le président des assises avait, à plusieurs reprises, recommandé le calme. A peine Me Lachaud a-t-il achevé sa péroraison que des applaudissemens frénétiques éclatent de toutes parts, « accompagnés de trépignemens de pieds. » Le président se lève, déclarant « qu’il est impossible de braver plus insolemment ses recommandations et de manquer plus complètement de respect à la justice. » l’accès de l’audience est, pour le lendemain, interdit au public. Lachaud est d’ailleurs habitué à ces témoignages de l’admiration générale. Dans l’affaire Carpentier et Guérin, il ne peut pas se soustraire aux vives et chaleureuses félicitations qui viennent l’assaillir. Dans l’affaire Thiébault (novembre 1860), il est « interrompu par une explosion des sentimens qui débordent de tous les cœurs; l’émotion se traduit sous toutes les formes : ce sont des cris, des sanglots, des gémissemens, des larmes. Mme Thiébault est affaissée sous le poids des souvenirs qui viennent d’être évoqués; son frère la contemple, ému, inquiet, mais n’osant pas troubler cette grande douleur. » Dans l’affaire de La Meilleraye, l’illustre avocat « tombe sur son banc la tête dans les mains, — des applaudissemens longs et frénétiques couvrent les protestations du président; l’accusée a une crise nerveuse, une crise atroce, et pousse des cris déchirans : — Ah ! mes enfans ! mes pauvres enfans ! — un médecin accourt, etc. » Au contraire, dans l’affaire Trochu (1872), que Me Allou plaide pour le général et Me Lachaud pour le Figaro, la salle est pour le premier contre le second. Celui-ci est interrompu pas des murmures. « Murmurez, répond-il, vous me confirmez dans ma thèse. » Le président : « La défense est autant protégée qu’elle peut l’être. » Me Lachaud : « A côté de votre bienveillance, monsieur le président, il y a des sentimens tout différens. » Le président : « Des manifestations sympathiques se sont fait entendre. » Me Lachaud: « Oui, mais il y en a d’autres; peu importe que l’avocat plaide mal, très mal, s’il dit la vérité! « Il est évident que, si le juré ne dépouille pas le vieil homme, s’il n’oublie pas qu’il