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la charge et lança l’escadron du jeune barreau. Même chez Philippe Dupin, le lecteur attentif trouve encore çà et là quelques débris de cette rhétorique qui fut chère à nos aïeux. Chaix d’Est-Ange fut l’adversaire impitoyable du convenu, du faux classique et du clinquant déteint. Il n’a jamais copié les Grecs ou les Romains ni qui que ce soit au monde. Il put tout, si ce n’est imiter les autres, et peut-être n’est-il pas lui-même imitable.

Ce fut, avant tout, un homme d’esprit. L’éloge n’est pas à dédaigner, quoique tous les Français puissent, dit-on, y prétendre. Nous avons Bossuet et Bourdaloue, Patru, le Maistre, Mirabeau, Vergniaud, Berryer, Lacordaire, beaucoup de très grands hommes; mais, pour qui veut faire un triage sur la liste générale des orateurs, celle des gens d’esprit, proprement dits, n’est pas la plus longue. Celui-ci n’a que plus de mérite à y occuper le premier rang. Sa plaidoirie du 26 octobre 1835, dans laquelle il soutint, devant la cour d’assises de la Seine, la plainte du duc de Broglie, président du conseil des ministres, contre la Nouvelle Minerve, pétille de verve malicieuse. Quelques années plus tard, il soutient, devant la même juridiction, une plainte en diffamation de M. Dumon, ministre des finances, contre le Courrier français, et comme on lui reprochait de plaider encore pour un ministre, c’est-à-dire de prendre le parti des forts contre les faibles, il lance à ses adversaires cette fine et fière réponse : « Cette fois encore, je suis l’avocat du ministre. Les forts et les faibles, quand leur cause est juste, ont des droits égaux à mon appui ; ma voix appartient à tous, et je n’appartiens à personne* « Il fut entendu qu’on pourrait, désormais, plaider même pour un ministre. Le 3 mai 1849, il défend devant la cour d’assises de la Seine le journal l’Assemblée nationale contre A. Marrast : « j’ai été stupéfait tout à l’heure en entendant dire que nous avions nié la probité de M. Marrast. Il est vrai que nous avons écrit le mot probité ; oui, nous avons dit qu’elle ferait la force du gouvernement républicain... Mais faut-il donc refaire nos dictionnaires pour M. Marrast? Ne peut-on plus parler de bonne foi devant lui sans qu’il se tienne pour insulté et, si l’on prononce le mot de probité, est-ce qu’il pourra dire : Vous ne m’avez pas personnellement insulté, c’est vrai; mais cependant vous avez parlé de probité : c’est donc moi que vous avez voulu diffamer. Ne faisons pas de misérables chicanes ; elles seraient indignes de la cause, indignes de M. Marrast, du poste qu’il occupe, des services qu’il dit avoir rendus. » Dans l’affaire Caumartin[1], comme l’avocat-général contestait l’opinion des médecins : « Si vous

  1. Cour d’assises du Brabant, 15 avril 1843.