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misier juif et un coulissier catholique. Nos érudits ont d’ailleurs maintes fois prouvé que s’il coulait dans les veines du juif un peu de sang sémitique, il y était largement mélangé ; que « pendant de longs siècles, des masses très considérables de populations non israélites avaient embrassé le judaïsme[1] ; » qu’un juif gaulois du temps de Chilpéric ou du roi Dagobert était sans doute un Gaulois de race qui professait le Dieu d’Israël ; et la preuve a paru généralement bonne. En admettant que l’ethnographie fût une science certaine et qu’il y eût un type juif, ce type même serait donc à peine juif, ne serait pas certainement sémitique. Et si l’on veut à toute force qu’il y ait une différence entre le juif et nous, ce n’est pas la race qui l’y a mise, mais l’histoire, l’histoire seule, c’est-à-dire nous mêmes et nos pères ; — leurs lois, leurs préjugés et leurs persécutions.

Oui, M. Drumont n’a peut-être pas tort, les juifs se tiennent et se soutiennent entre eux, et au besoin contre nous ; ils s’entre-tiennent fidèlement, obstinément, passionnément ; mais quand nous oserions bien traiter cette vertu de vice, n’est-ce pas nous qui depuis plus de mille ans leur avons fait, pour nous résister, pour durer, pour vivre seulement, une loi de se rapprocher, de se soutenir et de s’entr’aider ? Est-il également vrai, comme on l’a si souvent répété, comme le répète M. Drumont, et avec insistance, que les juifs ne soient capables que du commerce de l’argent, qu’ils répugnent par nature aux professions manuelles, que leur travail ne consiste guère qu’à exploiter celui des autres ? Je ne le crois pas ; et je sais, comme tout le monde, nombre d’exemples du contraire. Mais, en ce cas même, et supposé qu’effectivement, Spinoza, par exemple, ait jadis exploité les marchands d’Amsterdam, — lesquels étaient encore de bien candides et bien naïfs chrétiens sans doute, — nous ne pourrions nous en prendre qu’à nous, qui, depuis tant de siècles, avons écarté les juifs de ces professions qu’on leur reproche aujourd’hui de ne pas exercer. Et quand enfin il serait vrai, — car je vais jusque-là, parce qu’on y peut aller, — quand il serait vrai qu’il subsiste toujours dans le fond de leurs cœurs un vieux levain de haine contre le nom chrétien, qui l’y aurait mis si ce n’est encore nous ? qui l’y a cultivé ? qui prendrait soin de l’y faire fermenter, si ce n’est M. Drumont lui-même, avec des pamphlets comme le sien ? Il faut être justes : si les juifs ont leurs vices, et en admettant que quelques-uns de ces vices non-seulement leur soient propres, mais encore soient de ceux qui répugnent le plus à la « généreuse nature » de l’Aryen, ce n’est pas en tant que juifs ou que sémites qu’ils les ont, c’est en tant qu’héritiers de dix siècles d’abaissement ; et la faute en est toute à nous. A Constantinople, sous la domination du Turc ou

  1. Ernest Renan, le Judaïsme comme race et comme religion. Paris, 1883.