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du Tartare, les Grecs, fils de Thémistocle ou d’Epaminondas, et les Arméniens, qui sont pourtant des Aryens, passent pour avoir tous les vices que M. Drumont attribue aux Sémites ; — et quelques-autres encore.

Changeons maintenant la position de la question ; laissons là le passé, prenons les Juifs tels qu’ils sont, prenons-les avec tous leurs vices et tous leurs défauts, tels qu’il plaît à M. Drumont de se les représenter, et tels enfin qu’il s’alarme, et se fâche, et s’indigne de les voir s’introduire dans toutes nos affaires, ou plutôt s’y insinuer, et finalement s’en emparer. Il est certain que les juifs sont nombreux dans nos assemblées, dans nos administrations, dans nos journaux, un peu partout enfin, plus nombreux qu’ils ne le seraient, que peut-être même ils ne devraient l’être si les fonctions se donnaient à proportion du petit nombre qu’ils sont eux-mêmes en France. Ils ne sont pas 200,000, et ils remplissent plus de place, ils font plus de bruit, ils ont plus de pouvoir effectif que s’ils étaient 36 millions et que c’était nous qui fussions 200,000. Mais quoi ! Nos affaires ne sont-elles pas les leurs ? Sont-ils Français, ou ne le sont-ils pas? Et, s’ils le sont, veut-on qu’ils ne le soient qu’à moitié ; pour supporter leur part des charges, et nous quitter, en quelque sorte, les bénéfices de l’association ? Ce sont là des idées d’un autre âge. À la vérité, si l’on en trouvait un moyen qui ne fût pas tyrannique, j’aimerais qu’à plusieurs d’entre eux, Allemands ou Levantins d’hier, on mesurât plus étroitement leur part de nationalité française, qu’on la leur fît plus longtemps attendre et gagner plus laborieusement, par de plus longs services, des services d’un autre genre, dont ils n’eussent point commencé par se payer eux-mêmes. Les étrangers nous envahissent ; aucun peuple, en aucun temps, ne s’est laissé gouverner comme nous, ne s’est donné en proie à des aventuriers accourus des quatre coins de l’horizon. Défendons-nous, je le veux bien ; et lavons, comme l’on dit, notre linge sale en famille. Mais je demande seulement à M. Drumont s’il est bien sûr que, parmi tous ces aventuriers, les juifs soient plus nombreux que les protestans ou que les catholiques, et s’il n’eût pas mieux fait, dans l’intérêt même de la cause qu’il soutient, de laisser Gambetta, par exemple, aux Italiens, que de vouloir à tout prix l’agréger au troupeau d’Israël ? Car, après tout, parmi tant de nouveaux Français que nous acquérons de la sorte, et de la plupart desquels nous nous passerions si volontiers, les juifs sont peut-être encore ceux qu’il convient d’accueillir le plus favorablement. La raison n’en est pas difficile à dire : ils ne sont ni Génois, ni Badois, ni Polonais, ni Anglais, ils sont juifs, ce qui veut dire que nulle part ils ne sauraient trouver, en cette qualité même, à mieux vivre qu’en France, et, qu’à défaut d’amour, leur intérêt au moins nous répondrait