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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/779

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milliers dans la capitale et envoyés par ballots dans les départemens. Sur-le-champ, M. Billot, procureur royal, dressa quarante-sept mandats d’arrêt dont le cours des événemens interrompit seul l’exécution, et notre préfet de police, M. Mangin, déjà célèbre à plus d’un titre, digne, cette fois, de le devenir à l’égal de Jocrisse, qui fermait la porte cochère pour empêcher le serin de s’envoler, M. Mangin se mit en quatre pour saisir, après coup, la protestation et les feuilles protestantes. Les commissaires, endimanchés de leurs écharpes blanches, mais sachant, du reste, qu’ils trouveraient partout visage de bois, ne se mirent en campagne qu’en requérant, dans chaque quartier, les serruriers, les forgerons, les ferrailleurs pour leur prêter main-forte dans l’invasion des ateliers, des presses, des armoires et des tiroirs. Or, qui fut penaud? Ce furent lesdits commissaires trouvant, en pleine rue, à la porte de chaque journal, les rédacteurs en bataille, pro aris et focis, attendant l’ennemi de pied ferme, sans autre arme en main que le code pénal, dénonçant à grands cris, comme un vol avec effraction, l’attentat qui se préparait, lisant à haute voix, en appuyant sur chaque syllabe, les articles du code qui punissent ce crime des travaux forcés, le tout aux applaudissemens de la foule, qui se pressait autour d’eux et les couvrait de sa protection.

L’effet fut magique. Les auxiliaires prirent peur, puis reculèrent, puis se sauvèrent ou désertèrent avec leurs outils, aux grands éclats de rire de cette même multitude, et la déroute fut telle que l’autorité, pour être obéie, en fut réduite à envoyer chercher dans les prisons les ouvriers ad hoc, ceux dont le métier est de river les fers des galériens et de leur mettre les menottes. Rien ne pouvait être plus à propos et plus symbolique.

Ce n’était d’ailleurs qu’un épisode, ou, si l’on veut, que l’un des épisodes du mouvement général. Dès l’aube du jour, tout était sur pied : toute la population ouvrière de Paris courait les rues, arpentait les places publiques, les carrefours, les boulevards, s’égayait dans les cabarets; toute la jeunesse des écoles s’y mêlait et s’y échauffait; peu à peu, dans la bourgeoisie, dans les classes supérieures, les curieux suivaient de l’œil ce va-et-vient avec un certain mélange de satisfaction et d’inquiétude. Bientôt l’encombrement devint tel, au Palais-Royal, qu’on jugea nécessaire de le faire évacuer et d’en fermer les portes; mais, en refoulant ainsi la foule du dedans sur celle du dehors, le tumulte devint inévitable, et, bon gré mal gré, les conflits se multiplièrent. Pour maintenir tant soit peu d’ordre dans cette mêlée, la pauvre police n’eut guère à sa disposition, jusqu’à la fin de la matinée, que quelques poignées de gendarmes qui recevaient, tout compte fait, plus de coups qu’ils n’en donnaient. Le duc de Raguse, enfin parti de Saint-Cloud,