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sur Paris avec son armée, disaient les autres, pour nous forcer à coups de canon à reconnaître son petit-fils. Il a envoyé soulever la Vendée, ajoutait-on encore, et il attend ses cohortes de paysans pour recommencer la guerre. Les têtes s’échauffaient. On sentait au frémissement de la population l’approche d’un de ces momens d’exaltation qui poussent irrésistiblement les masses en avant. »

Quelques heures de plus et le mouvement allait tout entraîner; le conseil décida que, pour rester maître des conséquences, le gouvernement en devait prendre la direction.

Il fut convenu que M. de La Fayette ferait immédiatement prendre les armes à 6,000 gardes nationaux, et les dirigerait sur la route de Versailles à Rambouillet, afin de couvrir la capitale et de rassurer la population parisienne, en inquiétant ce qui restait d’armée royale et hâtant sa désorganisation.

Mais, en temps de révolution, rien ne se fait que par à-coups, rien ne se fait avec poids et mesure ; l’homme propose et les hommes disposent.

« On battit le rappel dans les douze légions; aux tambours se joignirent des hommes du peuple qui parcouraient la ville en criant : « A Rambouillet ! à Rambouillet ! » On vit un élève de l’École polytechnique se promener dans la rue, debout dans un cabriolet, muni d’un tambour sur lequel il battait la générale, aux applaudissemens de la foule. Chacun s’armait de son mieux et courait au lieu de la réunion, qui était fixé aux Champs-Elysées. La gaîté expansive et bruyante du peuple de Paris transformait en partie de plaisir une expédition qui pouvait aboutir à un combat meurtrier. De tous les points, et surtout de tous les quartiers occupés par les classes ouvrières, on voyait se porter vers les Champs-Elysées des foules joyeuses aux aspects les plus divers. Le rassemblement présentait un pêle-mêle indescriptible, où tous les rangs, tous les âges, tous les costumes se rencontraient et se confondaient. Quelques uniformes de gardes nationaux et un petit nombre d’habits bourgeois y étaient noyés dans un océan de blouses et de vestes ou d’épaules nues, diapré de mille costumes militaires, trophées de la bataille. Celui-ci avait substitué à sa casquette le bonnet à poil d’un grenadier de la garde ou l’élégant schapska d’un lancier. Celui-là était affublé d’une cuirasse par-dessus sa souquenille en lambeaux. Cet autre portait à sa ceinture ou plutôt en bandoulière, un ceinturon d’où pendait un sabre démesuré. Quelques-uns étaient hérissés d’armes disparates comme des brigands de mélodrame. D’autres n’avaient pour tout moyen d’attaque ou de défense qu’un pistolet d’arçon ou un briquet d’infanterie ou même une baïonnette au bout d’un bâton. C’était de ces cohues moitié grotesques, moitié terribles