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UNE
AMBASSADE AU MAROC

I.


I. — TANGER.

Le fondateur de Kairouan, le héros de la conquête arabe, dont les armées victorieuses répandirent dans tout le nord de l’Afrique la puissance de l’islam, Sidi-Okba-ben-Nafé, parti de l’extrême Orient d’alors pour arriver à l’extrémité du Maroc actuel, au bord de l’océan, fit entrer son cheval jusqu’au poitrail dans les flots, leva la main au ciel et s’écria : « Seigneur, si cette mer ne m’arrêtait, j’irais dans les contrées lointaines et dans les royaumes de Dou-l’Carnein, en combattant pour ta religion et en tuant ceux qui ne croient pas à ton existence, ou qui adorent d’autres dieux que toi ! » Sans être aussi religieux et surtout aussi féroce que Sidi-Okba, j’étais, moi aussi, faut-il l’avouer? mordu au cœur par l’ambition de pousser mes excursions au nord de l’Afrique, jusqu’au point où je pourrais faire entrer mon cheval ou mon mulet, — cette seconde monture convenant beaucoup plus à un simple publiciste que le coursier des conquérans, — dans les flots irrités de l’océan, et m’écrier avec emphase : « Seigneur, c’est la mer seule qui m’arrête, sans quoi j’irais dans les contrées les plus fabuleuses chercher des objets d’étude et des sujets de description ! » Ayant commencé mes observations par l’Egypte, ayant visité plus tard la Tripolitaine et la Tunisie, connaissant l’Algérie à l’aide des innombrables ouvrages qui ont été publiés sur elle, il ne me manquait plus que d’avoir vu le Maroc pour être en droit de dire que j’avais embrassé dans toutes ses parties la question de l’Afrique arabe, que du Nil à l’océan, j’en avais cherché partout la solution. Mais rien n’est moins aisé, on le sait, que de voyager au Maroc, où il n’y a ni routes, ni ressources,